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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 16.djvu/419

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Les événemens dont Nelson fut témoin à cette époque laissèrent dans son esprit une impression profonde. Les deux premières années de la guerre nous avaient coûté 23 vaisseaux ; mais ce n’est pas dans ces pertes prématurées que Nelson croyait découvrir le secret de notre faiblesse. Il le voyait tout entier dans l’insubordination de nos équipages, et répétait souvent « que nous ne réussirions point à battre une flotte anglaise tant que nous n’aurions pas rétabli la discipline dans la nôtre. » C’est à ces habitudes démagogiques (the riotous behaviour of lawless Frenchmen) que sur le champ de bataille d’Aboukir il attribuait encore les revers de nos escadres. Il parle dans une de ses lettres, écrite à la fin de l’année 1793, d’une de nos frégates qu’il bloquait devant Livourne, et dont l’équipage, une belle nuit, déposa son capitaine et le remplaça par le lieutenant d’infanterie de marine. Le désordre des clubs s’était, en effet, introduit sur nos vaisseaux, et nos matelots, soupçonnant leurs officiers de vouloir les vendre à l’Angleterre, mettaient chaque jour en délibération l’obéissance à leurs ordres. Nelson vit ces officiers se partager en deux camps ennemis, et ceux qui étaient demeurés les dépositaires des traditions glorieuses des guerres de l’Inde et des Antilles sortir de Toulon à la suite de l’amiral anglais, pour se ranger sous son pavillon. De là date sa présomptueuse confiance : elle prit sa source dans la désorganisation de notre marine.


V.

Au moment de l’évacuation de Toulon, Nelson avait gagné l’estime et l’affection de lord Hood par le zèle qu’il venait de déployer dans les diverses missions dont il avait été chargé. Dans l’espace de six mois, son vaisseau n’avait pas passé vingt jours au mouillage. Pendant que l’escadre anglaise occupait la rade de Toulon et en disputait la possession aux batteries des républicains, Nelson, un jour à Naples, le lendemain sur les côtes de Corse, n’avait cessé de tenir la mer. Courant de Corse en Sardaigne, ou de Tunis à Livourne, négociant, bataillant, ne connaissant ni le repos ni la crainte, il s’annonçait déjà avec toute l’audace et toute la brusquerie de sa nature, et appelait résolument courage politique cette facilité qu’il montra plus tard à violer toutes les garanties du droit des gens et toutes les stipulations protectrices des états secondaires. Frappé des qualités qui faisaient de Nelson, sinon un très bon politique (ce dont ce dernier se piquait cependant), du moins un homme d’action inappréciable, lord Hood lui avait plusieurs fois offert de quitter son petit vaisseau de 64 pour un vaisseau de 74. L’offre était séduisante. Cependant Nelson ne pouvait se résoudre à se séparer de ses officiers. Il leur était très attaché et ne parlait jamais d’eux qu’avec les