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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 16.djvu/437

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sentiment de cette infériorité que Villeneuve proclamait avec tant de découragement quelques années plus tard. C’est à la faveur d’une immobilité apparente, de cette stagnation trompeuse qui suivit l’agitation de nos premières campagnes, que devait se préparer une nouvelle ère maritime. Trois années allaient s’écouler sans amener de nouvelles rencontres entre nos escadres et celles de l’Angleterre. Nos alliés seuls, pendant ce temps, étaient destinés à supporter le poids de la guerre, et nos vaisseaux n’y devaient prendre part que dans des engagemens isolés. Aucun d’eux, depuis le combat de l’île de Groix jusqu’à la fatale nuit d’Aboukir, ne vint enrichir la marine ennemie ; mais les avantages que remportèrent en 1797 sir John Jervis sur la marine espagnole, et l’amiral Duncan sur la marine hollandaise, étaient de nature à exciter de plus sérieuses alarmes que la perte de quelques vaisseaux, car ils indiquaient déjà de merveilleux progrès dans l’organisation et la discipline militaire des escadres anglaises. Ces deux combats peuvent être regardés comme les précurseurs d’Aboukir, celui du cap Saint-Vincent plus encore que celui de Camperdown. Au milieu des plus sérieux embarras qui aient jamais menacé l’Angleterre, ils ouvrent cette période de périls et de gloire qui devait consacrer sa puissance, et font pressentir à notre marine une lutte plus inégale encore. Quand Brueys, en effet, au lieu de l’amiral Hotham, eut à combattre dans les eaux de l’Égypte l’amiral Nelson, ce n’étaient point non plus les vaisseaux novices impunément bravés par l’amiral Martin qui vinrent si hardiment s’embosser devant sa ligne de bataille ; c’étaient les vétérans de lord Jervis, les vainqueurs du cap Saint-Vincent, l’élite de cette flotte devenue dès ce jour l’orgueil et l’espoir de l’Angleterre.


Jurien de La Gravière.