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Arrivé à Rome, il se lie avec Canova, qu’une conformité de génie et de caractère ne tarda pas à lui rendre cher. Le sculpteur avait déjà conquis une partie de cette faveur qui, devait conduire au plus haut point sa fortune et sa renommée. Il fit à son ami les offres les plus séduisantes pour le retenir à Rome, lorsque des nécessités de plus d’une espèce le rappelèrent à Paris. Prudhon avait éprouvé à Rome, malgré l’encouragement qu’il trouvait dans l’amitié de Canova, les extrémités les plus dures. Sa fierté l’avait empêché de découvrir à son ami l’excès de sa gêne ; mais ce qu’il allait retrouver à Paris, c’étaient les mêmes embarras sans les consolations qu’il tirait de son séjour au milieu des objets les plus propres à plaire à son esprit. Les liens qu’il avait formés à la légère avant son départ pour l’Italie devinrent à son retour une chaîne pesante. Les soucis de la paternité, les horreurs du ménage, et d’un ménage pauvre, allaient fondre sur lui. Il lui fallut donc se multiplier dans des besognes rebutantes qui renvoyaient bien loin ses projets de gloire et d’avenir.

Il faut admirer qu’au milieu de ces obscurs travaux l’étincelle divine ne l’ait pas abandonné tout-à-fait. Au contraire, on retrouve quelque chose de lui dans presque tous les ouvrages de cette époque qui ont pu être sauvés. Croira-t-on que cet homme admirable, forcé de composer jusqu’à des adresses et des vignettes pour des confiseurs et des bijoutiers, imagine, dispose, dessine avec tout le charme qu’il a porté dans ses ouvrages les plus célèbres ? Un grand nombre de vignettes placées en tête des brevets, des actes du gouvernement, des lettres des préfets et autres fonctionnaires du temps de la république et du consulat, sont de la main de Prudhon. On n’a pas besoin de dire que ces vénérables monumens occupent un rang distingué dans les collections ; on en trouverait encore un grand nombre dans les archives des ministères.

Quelques-unes de ses compositions mythologiques estimées datent de cette époque. Un comte d’Harlay, amateur de dessins, lui en demanda quelques-uns. Prudhon fit pour lui sa Cérès et l’Amour réduit à la raison avec son pendant. Les libraires lui commandèrent également des dessins pour des éditions de luxe. De ce nombre furent ceux qui ornent les éditions de Didot et qui contribuèrent le plus à lui donner quelque réputation.

Le sort n’était pas si attaché à le persécuter, qu’il ne lui eût accordé une bonne fortune bien rare pour un peintre. Connu à peine, il avait trouvé des graveurs. Deux hommes surtout, Copia et Roger, ont semblé prédestinés à reproduire ses inspirations, et leur talent, appliqué à rendre avec toutes leurs graces ses productions les plus légères, n’a pas peu contribué à attirer sur ces petits chefs-d’œuvre l’attention des amateurs et des artistes.

Il avait entrepris, en 1794, un voyage en Franche-Comté dans le