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la Seine Frochot, qu’on a vu déjà encourager ses essais. On raconte que Prudhon avait conçu la disposition de son tableau au moment où, dînant chez M. Frochot, il avait entendu ce dernier citer comme offrant un sujet remarquable les vers d’Horace : Raro antecedentem, etc. Prudhon se serait levé à l’instant pour aller, dans le cabinet même du préfet, tracer à la hâte les lignes principales de sa composition. Si l’anecdote est vraie, et que Prudhon se soit en effet emparé de cette belle idée pour en faire le sujet de son tableau, tout porte à croire que la composition célèbre qu’il a exécutée n’était pas celle qui s’était offerte à son esprit dans le premier moment. Il existe de lui sur le même sujet un dessin remarquable, mais entièrement différent, et qu’il a bien fait d’abandonner. Ce serait, contrairement au préjugé établi, une nouvelle preuve de l’insuffisance ordinaire du premier jet, et de la nécessité qu’il y a à mûrir une idée et à la retourner de plusieurs manières. Le dessin dont nous parlons rappelle un peu pour la disposition la Calomnie de Raphaël ; on y voit la Justice assise à un tribunal et un ange vengeur qui traîne devant elle deux coupables, un homme et une femme. La figure de la femme qui se débat et résiste à la main qui l’a saisie est d’une pantomime terrible ; quant à l’action de l’homme, son complice, elle est vulgaire. La victime n’est plus cette touchante figure de jeune homme tombé sur le devant du tableau, les bras mollement allongés, et beau encore dans le sein de la mort. C’est une jeune femme massacrée, jetée au pied du tribunal avec son enfant mort comme elle. Ce triste corps ramassé sur lui-même et étendu là comme le mouton sur l’étal du boucher est d’une invention si naïve et si frappante à la fois, que le peintre a dû regretter de l’abandonner avec le reste de la composition ; mais l’ensemble était mal ordonné, et n’avait pas cette harmonie dans les lignes et cette unité de conception qui distinguent si éminemment l’autre tableau. Ce tribunal placé sur l’un des côtés de la scène, et qui se présente de travers à cause de la perspective, ôte à la figure de la Justice et à celles qui l’accompagnent l’assiette et par conséquent le caractère d’impassibilité que l’esprit voudrait leur trouver. Quand le Poussin a représenté le Jugement de Salomon, il a placé en face du spectateur, et au milieu de la toile, la figure de son jeune sage. La tête même n’incline ni à droite ni à gauche, et un seul doigt levé, le regard tourné à peine, indiquent suffisamment l’arrêt du juge.

On vit successivement paraître aux salons de 1810 et de 1812 les tableaux de Psyché enlevée par les Zéphyrs, Vénus et Adonis, la Tête de Vierge, le Zéphyr se balançant sur les eaux. Nous ne décrirons pas plus que le tableau de la Justice et la Vengeance divine ces divers ouvrages connus de tout le monde, au moins par le moyen de la gravure ; on y voit briller à des degrés différens les mérites principaux de Prudhon. La Psyché et le jeune Zéphyr obtinrent un succès plus général que la