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nous n’hésitons pas à l’affirmer, serait un malheur), il y a en Illyrie trois différens dialectes ou plutôt trois variétés de la même langue : le serbe, le croate et le vende. Après s’être disputé durant des siècles la domination littéraire, ces trois idiomes ont enfin cessé de se combattre. Les deux plus faibles ont volontairement reconnu la suprématie du plus fort, de l’idiome serbe. Proclamé maintenant comme leur seule langue littéraire par huit millions d’hommes, le serbo-illyrien a devant lui un bel avenir, et, si l’Europe l’encourage, il pourra opposer un jour une heureuse résistance à l’extension de la langue et de la littérature russes parmi les Slaves du midi.


II. – DU PANSLAVISME LITTERAIRE

On connaît maintenant dans quels rapports d’influence et de développement se trouvent vis-à-vis l’une de l’autre les quatre langues et littératures nationales de la race slave. Ces quatre littératures ont, quant à leur génie fondamental, les mêmes ressemblances, les mêmes analogies qu’offrent entre elles les langues romanes d’Occident. Malheureusement, dans les temps modernes, elles se sont constituées réciproquement en état d’opposition systématique. Un funeste esprit d’antagonisme s’est surtout développé en Pologne et en Russie ; il a créé entre ces deux grands pays des barrières politiques et religieuses infranchissables. En effet, la Pologne fut, dès l’origine, dans le monde slave l’organe du latinisme et de la civilisation occidentale. La Russie, au contraire, se porta comme champion de l’église grecque et des institutions orientales. De là le choc continu des deux camps et ce long cri de guerre qu’ils font entendre l’un contre l’autre à travers les siècles. Quoique moins divisés entre eux que les Polonais et les Russes, les autres peuples slaves sont pourtant loin d’être unis. Des défiances de tout genre les empêchent de se tendre la main, de marcher vers un but commun. Aussi les conséquences terribles du divide et impera pèsent-elles sur eux de tout leur poids.

Cependant toute l’histoire des peuples slaves prouve que cet antagonisme est un état anormal contraire à leur génie, un fait des temps modernes, un fait factice et violent, destiné, s’il se perpétue, à vicier le développement de la race entière et à la plonger peut-être dans un esclavage sans remède. Aussi tous les slavistes dont la pensée se meut un peu au-delà de leur propre nationalité sont-ils préoccupés des moyens de faire cesser enfin les rivalités intérieures. Les uns se bornent à une propagande purement littéraire, les autres ne croient la conciliation possible que par un affranchissement préalable des nationalités ou bien par leur absorption définitive dans l’empire russe. Ces derniers assignent ainsi à leur action littéraire un but tout politique.