déjà plus être appelée une utopie, pourquoi l’unité slave en serait-elle une ? Il y a de bien plus grandes différences de mœurs et d’intérêts entre les Autrichiens, les Prussiens et les Hollandais, qu’il n’y en a certes entre les Polonais, les Bohêmes et les Illyriens.
Ce sont principalement les écrivains allemands qui présentent en Europe le panslavisme comme une utopie. La raison en est toute simple. L’Autriche et la Prusse sont engagées par la loi même de leur conservation à combattre l’indépendance des Slaves. Pour que l’Allemagne soit puissante, il faut que la Pologne, la Bohême et la Hongrie languissent paralysées et sous une tutelle éternelle. Voilà pourquoi les cabinets germaniques s’efforcent dans leurs feuilles officielles de dérober à la connaissance de l’Europe les véritables tendances des panslavistes. On dira peut-être que l’intérêt de l’Allemagne serait pourtant d’avoir un rempart entre elle et la Russie, et qu’elle doit désirer le rétablissement de la Pologne. J’admets qu’il faut à l’Allemagne une barrière contre la Russie ; mais, si elle peut se former ce rempart avec des Slaves subjugués et germanisés, croit-on qu’elle ne préférera pas mille fois un tel rempart à un royaume de Pologne, quelque subordonné qu’il fût à l’Allemagne ? Les Allemands, même les plus libéraux, même les plus dévoués à la nationalité polonaise, ne sauraient donc la soutenir que jusqu’à de certaines limites. Une confédération de peuples slaves, tout-à-fait indépendans entre Moscou et Berlin, entre Constantinople et Vienne, ne sourira jamais aux Allemands. C’est pourquoi, je le répète, ils cherchent à rendre odieuses en Europe les idées panslavistes. Étrangère aux questions slaves, la presse française reproduit aveuglément ce que lui envoie sur ces questions la presse d’outre-Rhin, et les idées les plus fausses s’emparent ainsi des esprits. Il faut tâcher de démasquer les piéges que tendent à la bonne foi de la France et la presse allemande et les cabinets du Mord. Ces cabinets, après avoir démembré la Pologne, voudraient bien briser autour d’elle tous les élémens nouveaux qui lui viennent en aide. C’est aux vrais amis des Slaves qu’il appartient d’arracher enfin la Pologne au fatal isolement dans lequel elle a jusqu’ici vécu au milieu des autres peuples de sa race. Plaignons ceux qui prétendent que le panslavisme n’est qu’une machine de guerre de la Russie contre l’Europe, car un tel langage vient nécessairement ou de l’ignorance ou du désir coupable de ne pas voir s’élever dans le monde d’autre puissance slave que la puissance moscovite. Loin d’être une machine de guerre de la Russie, le vrai panslavisme pourrait bien plutôt devenir le plus puissant levier de la Pologne contre le tsarisme. En effet, si elle parvenait à s’approprier ce système et à s’en faire reconnaître comme l’organe littéraire, la société polonaise deviendrait par là même le centre intellectuel du monde slave. Tous les peuples slaves qui voudraient s’émanciper tourneraient les yeux vers cette grande victime