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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 16.djvu/545

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l’énigme de ces éternelles vicissitudes, et d’où vient qu’un homme intelligent et capable va voir tout à coup péricliter en ses mains cette machine qui jusque-là semblait fonctionner à souhait et comme d’elle-même. Nous ne voulons accuser personne. Lorsque des fautes ont été commises, nous les avons relevées ; aujourd’hui ces fautes ont amené le triste état de choses auquel nous assistons. En de pareilles circonstances que faire ? S’abstenir est encore le mieux, car s’il nous répugne souverainement d’incriminer toujours, si nous repoussons avec tous les honnêtes gens cette critique malveillante, haineuse, de parti pris, résolue d’avance à trouver mauvais quoi qu’on tente et décidée à décrier les meilleures intentions, il nous est absolument impossible de discuter, au point de vue d’une renaissance prochaine, des événemens tels que les débuts ou la rentrée de Mme Rossi-Caccia dans la juive ou la mise au théâtre d’un opéra de M. de Flotow. Une activité qui se consume éternellement en stériles essais, en expédiens sans portée et sans résultat, bien loin de triompher du peu d’entraînement du public, ne fait au contraire qu’accroître son indifférence et sa lassitude. Or, depuis quelques années, tant de tristes débuts se sont multipliés à l’Académie royale de musique, tant de jeunes talens se sont produits dans leur impuissance, qu’aujourd’hui, à moins de véritables révélations, il faut désespérer d’avoir raison de l’apathie universelle. Si Mlle Falcon sortait aujourd’hui du Conservatoire, croyez-vous, par exemple, qu’elle trouvât d’emblée cet auditoire sympathique, cette salle enthousiaste qui d’un coup de main décida du succès de la jeune cantatrice ? Non, certes ; Mlle Falcon aurait à lutter des mois entiers contre la défaveur qui s’attache désormais aux débuts : heureuse encore s’il lui arrivait de ne pas succomber à la fin sous tant de ruines amoncelées. D’ailleurs, avec la constitution actuelle de l’Opéra, que signifie un Conservatoire ? Quels services attendre d’une institution nationale du moment où l’administration de l’Académie royale de musique affecte de ne plus se recruter qu’à l’étranger, où nos directeurs courent la poste et s’en vont çà et là chercher en Italie des voix novices qu’ils nous amènent à grands frais, quittes à leur donner des maîtres de prononciation et de solfège au lendemain de leurs débuts ?

Qui dit Conservatoire dit tradition. Or, agir de la sorte, n’est-ce pas vouloir rompre avec la tradition ? Quoi qu’on puisse prétendre, il existe en musique un système français, système éclectique, je n’en disconviens pas, et dont les prédilections se partagent volontiers entre l’Italie et l’Allemagne, mais fort habile d’ailleurs, tout en s’assimilant les divers élémens caractéristiques des deux pays, à garder pour lui une certaine individualité qui lui est propre. Je veux parler d’une ampleur de style, d’un soutenu dans les récits, d’une intervention continuelle du génie du maître dans les moindres détails de la mise en scène, dont les Italiens ignorent l’habitude, comme aussi d’une variété d’effets, d’un mélange de tous les genres et de toutes les formes qu’un Allemand de vieille roche, vom alten deutschen Shrott und Korne, Louis Spohr, par exemple, et ceux de son école n’adopteront jamais. De Gluck à Meyerbeer, les plus illustres compositeurs, les plus grands génies, en franchissant le seuil de l’Opéra, ont reconnu les conditions essentielles du système français. Rossini lui-même, et ce n’est pas le moindre honneur rendu à cette école dont l’Académie royale de musique et le Conservatoire ont charge de garder les traditions, Rossini lui-même a subi la loi commune. Qui oserait soutenir que Guillaume Tell est un opéra italien ?