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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 16.djvu/586

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nom passager. Trop souvent aujourd’hui nous voyons gaspiller des facultés précieuses que l’étude persévérante aurait pu féconder, et qui demeurent stériles faute d’avoir été cultivées avec assez de patience. Si André n’est pas le rival de Raphaël, du moins a-t-il produit tout ce qu’il pouvait produire. Il possédait si bien tous les secrets de son art, que le pinceau n’a jamais trahi sa pensée. Combien de peintres parmi nous mériteraient le même éloge ? Rien n’est plus commun que de voir des œuvres dont la pensée, très acceptable en elle-même, demeure obscure ou méconnue parce qu’elle est mal rendue, souvent même travestie par l’exécution. André, plus patient, sut attendre, et il s’en trouva bien.

André fit un voyage à Rome ; nous le savons par Vasari, l’un de ses élèves. Il est impossible de révoquer en doute la réalité de ce voyage, quoique rien d’ailleurs ne puisse servir à déterminer à quelle époque il se fit. Il est vrai qu’André n’a laissé à Rome aucune trace de son passage ; mais ce n’est pas une raison suffisante pour contester l’affirmation de Vasari, car, lorsque parut la vie d’André del Sarto, sa veuve vivait encore, ainsi que plusieurs de ses élèves, et, si Vasari se fût trompé sur un fait aussi important, il est plus que probable que les réfutations n’auraient pas manqué. Ainsi nous sommes obligé d’accepter le voyage à Rome. D’ailleurs, si André n’a laissé à Rome aucune trace de son passage, Rome, il est permis de le dire, a laissé des traces profondes dans le style d’André. En étudiant attentivement la série de ses œuvres, il est facile d’y découvrir une élégance, une noblesse que Rome seule peut donner. Cette remarque s’applique surtout à l’architecture qu’André a traitée dans plusieurs de ses fresques avec une sécurité magistrale. On peut sans présomption croire qu’il eût difficilement traité l’architecture avec l’abondance, la variété que nous admirons, s’il n’eût pas fait un voyage à Rome, On se demande cependant comment, en présence de toutes les merveilles qui l’entouraient, André ne conçut pas le désir de se fixer à Rome et d’y mettre en œuvre ce qu’il savait. Vasari s’est chargé de répondre à cette question. André, nous l’avons déjà dit, s’était surtout appliqué à l’imitation de la nature. Ni Gian Barile, ni Pier di Cosimo ne lui avaient révélé les secrets de l’invention. Plus tard Masaccio et Ghirlandajo, Michel-Ange et Léonard avaient donné à son style Plus d’élévation et de fermeté, Toutefois, malgré ses études persévérantes, il n’avait jamais fait preuve d’une véritable fécondité. Il produisait facilement, mais dans chacune de ses œuvres l’imitation fidèle de la nature éclate plus que l’invention proprement dite. L’élève de Gian Barile, on le comprend sans peine, ne put voir sans une sorte d’effroi l’inépuisable fécondité de Raphaël. Lui qui, malgré tous ses efforts, n’avait réussi que bien rarement à s’élever au-dessus de la réalité, avec quel étonnement ne dut-il pas contempler les innombrables transformations