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quand elle fut aperçue à la hauteur de l’île de Corse le 15 octobre par les éclaireurs de l’escadre anglaise. L’amiral Jervis était alors mouillé avec 14 vaisseaux dans la baie de Saint-Florent. Il ignorait le départ de la flotte espagnole, et don Juan de Langara eût pu l’assaillir avec avantage dans la baie profonde où son escadre se trouvait enfermée ; mais cette occasion de porter un coup mortel à la puissance anglaise fut négligée, comme tant d’autres, et, faisant route pour Toulon, l’amiral espagnol vint mouiller de nouveau sur cette rade qu’il avait quittée trois ans plus tôt sous le feu des batteries républicaines. Il y trouva 12 vaisseaux français prêts à prendre la mer, et son arrivée porta à 38 vaisseaux et 20 frégates les forces alliées réunies en ce moment dans ce port. Cette armée formidable devait cependant souffrir que sir John Jervis opérât tranquillement sa retraite !

Ce dernier pressait les préparatifs de son départ avec la plus grande activité. Bastia avait été évacué sous la direction de Nelson, les garnisons de Calvi et d’Ajaccio étaient embarquées, et, bien qu’il lui restât à peine quelques jours de vivres, sir John Jervis s’apprêtait à traverser la Méditerranée. Le 2 novembre 1796, six jours seulement après l’arrivée de l’amiral Langara à Toulon, Jervis fut rallié par le vaisseau le Captain dont Nelson avait pris le commandement : l’Agamemnon, épuisé par ses longs services, avait été renvoyé en Angleterre. L’escadre anglaise, alors composée de 15 vaisseaux et de quelques frégates, se hâta de quitter la baie de Saint-Florent. Elle était suivie d’un convoi qui emportait une partie des troupes et du matériel débarqués en Corse. Ces bâtimens de commerce furent pris à la remorque, mais dans une saute de vent deux d’entre eux furent abordés et coulés par les vaisseaux qui les remorquaient. L’Excellent et le Captain démâtèrent chacun dans la même journée d’un de leurs bas mâts, et, la traversée se prolongeant au-delà de toutes les prévisions, les équipages se trouvèrent réduits au tiers de leur ration ordinaire. Il fallut leur délivrer les balayures des soutes, endurer leurs justes plaintes et supporter la vue de leurs souffrances. Sir John Jervis resta inébranlable et ne dévia point un instant de sa route ; mais il promit aux équipages que les vivres qui ne leur auraient point été distribués en nature leur seraient religieusement remboursés en argent. Enfin, le 1er décembre, grace à sa persévérance, il eut la satisfaction de voir ses vaisseaux mouillés en sûreté sous les canons du rocher de Gibraltar La Méditerranée se trouva ainsi complètement évacuée par les Anglais. Ce résultat une fois obtenu, la concentration des forces considérables réunies à Toulon devenait pour ainsi dire inutile, et, la veille du jour où l’amiral Jervis arrivait à Gibraltar, la flotte espagnole, accompagnée du contre-amiral Villeneuve et de 5 vaisseaux français quittait les côtes de France. Le 6 décembre, elle entra dans le Port de Carthagène. Quant à Villeneuve, il continua sa route sur Brest