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passées au bout des vergues, pour indiquer le sort réservé à ceux qui failliraient à ce serment, et les délégués chargés par les matelots de les représenter se réunirent a bord du vaisseau-amiral, afin de rédiger et de signer deux pétitions, l’une à la chambre des communes, l’autre à l’amirauté. Rappelant les services rendus au pays par les marins anglais, les pétitionnaires exposaient leurs griefs dans un langage plein de convenance et de respect ; ces griefs, quelque fondés qu’ils pussent être, n’auraient point, il faut le dire, suffi pour soulever une flotte française. Nos matelots sont moins dociles peut-être que les marins anglais ; en revanche, de plus nobles instincts les animent. Les équipages de la flotte de lord Bridport réclamaient une augmentation de paie, une ration plus considérable et mieux composée, une distribution plus équitables des parts de prise, divers avantages pour les matelots blessés ou infirmes, et la liberté, en revenant de la mer, d’aller visiter leurs familles. Cette dernière demande était assurément la plus légitime. Il est impossible, en effet, de rien imaginer de plus affreux que cette séquestration à laquelle se trouvait condamnée, pendant des années entières, la grande majorité des équipages anglais. Quant à la rigueur de la discipline maritime, aux châtimens corporels auxquels ils se trouvaient soumis sans le moindre contrôle, les insurgés s’y arrêtaient à peine et se bornaient à demander que ces châtimens ne leur fussent plus infligés au caprice des officiers inférieurs. Les préoccupations matérielles, les intérêts les plus grossiers, tenaient donc la première place dans l’esprit des révoltés de Portsmouth, et l’insurrection d’une escadre française eût eu, dès le principe, on peut en être certain, un plus noble et plus dangereux caractère.

Dès que la nouvelle de ce mouvement eut été transmise à Londres, le gouvernement, sérieusement alarmé, ordonna à l’amirauté de se transporter à Portsmouth, et lui prescrivit d’adopter immédiatement les mesures les plus efficaces pour étouffer la révolte à sa naissance. Conformément à ces instructions, le premier lord de l’amirauté, le comte Spencer, après quelques pourparlers inutiles, engagea les officiers-généraux qui servaient sous les ordres de lord Bridport à se rendre à bord du vaisseau sur lequel s’étaient réunis les délégués, afin d’essayer par de nouvelles démarches de les faire rentrer dans le devoir. Les exigences qui se manifestèrent dans cette entrevue exaspérèrent tellement un de ces officiers-généraux, le vice-amiral Gardner, qu’il saisit un des délégués au collet et jura qu’il les ferait tous pendre pour prix de leur trahison. Cet acte de violence faillit lui coûter la vie ; au retour de leurs délégués, voulant témoigner qu’ils regardaient les conférences comme rompues, les matelots offensés hissèrent à bord de chaque vaisseau le pavillon rouge en signe de défi et de rébellion ; les canons furent chargés, et les navires mis en état de défense.