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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 16.djvu/637

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qui s’obstinent à faire de l’Amérique le théâtre grandiose de scènes vulgaires. N’est-ce point là l’histoire récente du Nouveau-Monde depuis le Mexique jusqu’aux régions reculées de la République Argentine ?

Il est utile d’observer attentivement cette longue, anarchie comme le passé de l’Amérique, pour connaître le sens des événemens contemporains, pour saisir l’obscure origine d’une pensée qui tend aujourd’hui à prévaloir, et qui n’est rien moins que civilisatrice ; elle menace d’envahir toutes les contrées du sud, et de devenir le fonds de leur politique : c’est l’américanisme, mot barbare comme la chose elle-même ! trompeuse satisfaction donnée aux besoins de nationalité que ressentent ces pays nouveaux ! illusion d’un patriotisme étroit, inintelligent et brutal ! Les instincts sauvages et les préjugés exclusifs de la vieille nature espagnole se confondent pour former ce type national dont le trait saillant est une antipathie déclarée, contre les autres peuples ; plus le nombre des émigrans européens s’est accru, plus ce sentiment d’aversion, s’est développé. L’américanisme a prouvé son existence par des décrets proscripteurs contre les personnes, par des prohibitions commerciales, par des tentatives renaissantes pour empêcher le mélange des races. Le docteur Francia n’obéissait pas à une autre impulsion, lorsqu’après la guerre de l’indépendance il séquestrait le Paraguay du reste du monde sous peine de mort. Ces tendances se sont montrées plus publiquement dans une occasion récente. Le congrès de Nicaragua a solennellement discuté, l’an passé, une loi d’exclusion. « Aucun étranger, disait le projet, ne pourra se marier, dans l’état de Nicaragua avec une femme du pays, ni acquérir d’immeubles, de terres, ni de mines, ni en détail, sans qu’il déclare préalablement que son intention est de se naturaliser en produisant l’assentiment de son souverain. — Si quelque femme du pays se marie avec un étranger qui n’est pas naturalisé, les deux époux auront à évacuer immédiatement le territoire, et les autorités ecclésiastiques qui auront consacré ces mariages souffriront la peine déterminée par la loi. — Les contrats d’acquisition d’immeubles seront nuls et de nulle valeur, et les magistrats qui les auront reçus perdront la jouissance de leurs droits civils pour dix ans, et paieront une amende de 500 à 2,000 piastres. — Les valeurs trouvées dans des magasins de détail appartenant à des étrangers seront saisies au profit du trésor public… » Il a fallu que le pouvoir exécutif s’arrêtât devant les conséquences d’une pareille résolution, et la renvoyât au congrès comme impolitique. Les débats des assemblées sont d’ailleurs en harmonie avec les penchans mal déguisés des populations. « Le commerçant, dit l’auteur des Questions américaines, voudrait éviter la concurrence de l’homme plus expérimenté que lui, plus capable d’arriver rapidement à la fortune, et, au fond du cœur, il demande qu’on interdise le commerce aux étrangers, sous prétexte