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et généreuse émulation à les acclimater, à les propager aux bords de la Plata. Depuis 1820 surtout, pendant les administrations de Rodriguez, de Las Heras, plus encore sous la présidence de l’homme éminent qui couronne cette ère brillante, M. Rivadavia, on peut distinguer les plus légitimes efforts pour renouveler la république. Tous les esprits sont occupés du soin d’établir des lois qui protégent la sécurité individuelle, qui garantissent la propriété, qui naturalisent dans ces contrées l’égalité civile, qui fixent les limites des divers pouvoirs. Des écoles publiques sont instituées sur tous les points où l’action du gouvernement peut atteindre, les journaux se multiplient, la tribune retentit des plus solennelles déclarations de droits, une banque nationale est créée pour développer le crédit, les fleuves sont ouverts au commerce étranger, des colonies sont appelées pour venir féconder le désert, l’appât du gain est offert à toutes les industries. On ne saurait imaginer plus d’idées excellentes, plus d’hommes de talent rassemblés pour transformer un pays. Il ne faut pas cependant se laisser tromper par cette apparence ; tout cela est encore dans l’imagination plutôt que dans la réalité ; c’est pour ainsi dire, la poésie de la civilisation qui absorbe et domine cette fraction glorieuse de la société argentine, aussi naïve dans ses illusions de perfectionnement régulier que peut l’être la barbarie dans un sens contraire.

M Rivadavia est la personnification de cet entraînement poétique ; auprès de lui ; les hommes rangés sous le même drapeau ne montrent pas moins d’ingénuité. Leurs doctrines, sans rapport avec les faits qui les entourent, se composent de tout ce qu’ont pensé les autres pays ; elles sont le reflet des théories de Bentham ou de Smith, des doctrines de Montesquieu et de Rousseau. La République Argentine, à cette époque, était saluée grande et capable de réaliser toutes les spéculations des penseurs de l’ancien monde. Rêves fugitifs d’un parti qui n’est plus, qui a succombé dans la lutte, et dont le nom seul reste encore dans le vocabulaire injurieux du gouvernement hostile de Buenos-Ayres ! M. Sarmiento a tracé de ce parti un portrait exact et attachant. « Les unitaires de 1825, dit-il, forment un type distinct qu’on peut reconnaître à la figure, aux manières, aux tons de la voix, aux idées ; entre cent Argentins réunis, il serait facile de dire : Voilà un unitaire ! L’unitaire marche droit, la tête haute, sans se détourner jamais, entendît-il s’écrouler un édifice auprès de lui ; il parle avec une certaine hauteur, il complète sa parole par un geste dédaigneux, dogmatique ; il a des idées fixes, invariables, et, à la veille d’une bataille, il s’occuperait encore de discuter un règlement ou d’établir une nouvelle formalité légale, parce que cette discussion pacifique est le culte extérieur qu’il rend à son idole, la constitution. Sa religion est l’avenir de la république, dont l’image vague et sublime, lui apparaissant dans la splendeur des gloires passées, l’empêche