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La plus petite des trois pyramides, dont la hauteur n’atteint guère que le tiers de la plus grande, n’est pas la moins curieuse. D’abord elle était la plus ornée. Son revêtement était de granit, comme l’affirme Hérodote et comme on le voit encore, mais ce qui donne à cette pyramide un immense intérêt, c’est qu’on y a trouvé le cercueil en bois du roi Mycerinus, par qui elle fut construite, suivant Hérodote, et le nom de ce roi écrit sur les planches du cercueil. On ne saurait imaginer une plus belle application de l’interprétation des hiéroglyphes et une preuve plus éclatante de la réalité du système, de lecture de Champollion. Tout le monde peut voir au musée de Londres ces planches monumentales qui offrent la plus ancienne inscription tracée par les hommes. Des ossemens, trouvés à l’entrée de la chambre où était le cercueil sont probablement ceux du roi égyptien Pour le tombeau en pierre, après avoir survécu à tant de siècles, il a péri dans la traversée.

Si l’on adopte la série historique de Manéthon, dont l’étude des monumens et la lecture des hiéroglyphes ont jusqu’ici confirmé le témoignage, il faut, avec M. Lenormant, qui le premier a fait connaître à la France ce monument et en a révélé toute l’importance, admettre pour le cercueil de Mycerinus une antiquité de quarante siècles au moins avant l’ère chrétienne[1]. Or, les caractères hiéroglyphiques dont se compose l’inscription du cercueil, et les formules religieuses quelle contient, sont entièrement semblables à ce qui se lit sur des tombeaux qui appartiennent au temps des derniers Pharaons. Dans cet immense intervalle, l’écriture et la religion égyptienne n’ont donc pas essentiellement changé ; du reste les inscriptions hiéroglyphiques et les peintures qu’on trouve dans les tombeaux contemporains des pyramides confirment cet étonnant résultat

Ici Hérodote et Manéthon diffèrent sur un point important le second n’attribue point la construction de la troisième pyramide au roi Mycerinus, mais à la reine Nitocris M. Bunsen concilie les deux historiens en supposant que la reine avait agrandi et orné l’œuvre du monarque, comme il y a deux chambres dans l’intérieur de la pyramide, on peut admettre que Nitocris s’y établie sans déloger son prédécesseur. Ce qu’il y a de certain, c’est que l’image du roi Mycerinus resta au-dessus de l’entrée extérieure jusqu’au temps de Diodore de Sicile, qui l’y vit encore. M. Bunsen explique d’une manière fort plausible comment le souvenir de la reine Nitocris a pu donner lieu aux fables des Grecs sur la troisième pyramide. La tradition, d’après laquelle une femme avait concouru à la construction du monument, suffit à ce peuple léger et conteur pour inventer plus d’une histoire frivole. D’abord on dit que la fille du roi Chéops avait élevé cette pyramide en demandant à chacun

  1. Éclaircissement sur le cercueil du roi Mycerinus, par M. Lenormant.