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consolant de mourir pour un pays où l’on est com()té comme citoyen, et dont la grandeur rejaillit sur vous. Irlandais, au contraire, ils jouaient le rôle des limiers sanglans que le chasseur lance après sa proie, et dont il prodigue la vie moins précieuse que la sienne. Pour eux, ni véritable conquête, ni satisfaction d’orgueil national, en échange des souffrances qu’ils endurent, des périls qu’ils bravent. L’Anglais hautain paie et opprime ces ilotes armés qu’il envoie aux confins du monde porter la crainte du nom britannique.

Ainsi donc, c’étaient des Irlandais qui, par une belle matinée du mois de juillet 1843, montaient à bord de ce superbe navire, pour la première fois envoyé sur les mers. Et justement ce volume gauffré de rouge, que le hasard de l’étude a placé sous nos yeux, contient l’histoire d’un soldat irlandais qui, le 9 juillet 1843, devant Gravesend, s’embarquait pour Calcutta, sur la Gloriana, frégate de mille tonneaux, récemment sortie du chantier. Faut-il croire au hasard presque merveilleux qui nous aurait fait assister, il y a trois ans, au début d’une campagne dont nous devions lire plus tard la naïve chronique ? Ou bien, tout simplement, sommes-nous dupe de nos souvenirs qui rassemblent ainsi deux événemens étrangers l’un à l’autre, et dès-lors fort insignifians ? C’est ce que nous vérifierions sans peine en consultant notre journal de voyage ; mais à quoi bon ? Ne vaut-il pas mieux supposer certain ce qui est possible, et ce qui a donné pour nous tant de charme aux véridiques récits d’un staff-sergeant retiré du service ?

Par un concours de circonstances assez rare, il y était entré volontairement, de son libre choix, après avoir travaillé quelque temps, comme associé, dans une maison de commerce. Les spéculations tournèrent mal : notre homme, harcelé sans doute par d’importuns créanciers, ne vit d’asile assuré que sous le drapeau. D’ailleurs, et c’est lui-même qui le dit, il était tourmenté de ce besoin de voyager qui pousse hors de leurs îles les aventureux Saxons.

Aussi choisit-il un régiment de service dans l’Inde, le 13e d’infanterie légère, que les bulletins du gouverneur-général avaient rendu célèbre depuis les guerres de l’Afghanistan, les combats de Ghuznée, de Julgah et de Jugdullak. Son parti pris, il reçut un shelling, et, par la vertu de cette espèce de coemption, fut désormais soldat de la reine. Les regrets et les craintes ne tardèrent pas à lui venir après cet étrange et désastreux marché ; mais il était trop tard, il fallait suivre son étoile. A défaut de plus nobles motifs, le fouet et la mort le menaçaient s’il eût hésité.

On ne voit pas que ses futurs compagnons d’armes aient inspiré dès-lors un bien vif intérêt au nouvel enfant de Mars. La plupart lui apparurent comme des êtres dépravés dès l’enfance, portant sur leurs traits flétris l’ignoble empreinte du vice. La licence de leurs propos, les infâmes pratiques à l’aide desquelles ils dépouillaient les nouveaux venus