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à Sukkur. D’ailleurs, le moindre mouvement de ce corps aurait mis les mutins sur leurs gardes et donné le signal des hostilités, qui, déclarées une fois, pouvaient avoir les conséquences les plus graves. Le vieux général eut alors recours à des moyens moins violens, mais plus sûrs, et qui font honneur à sa prudence, sinon à sa loyauté. Un ordre du jour enjoignit au 64e de se mettre en route pour Delhi, en passant par Sukkur, où il trouverait indiqué son itinéraire ultérieur, et, pour leur donner à penser qu’on s’apprêtait à leur faire justice, le colonel des cipayes fut mis aux arrêts forcés.

Trompés par ces bienveillantes démonstrations, persuadés qu’on les envoyait à Delhi pour y examiner à loisir la justice de leurs griefs, ils suivirent paisiblement leur adjudant jusqu’à Sukkur. Là, on leur refusa l’accès de leurs casernes ordinaires, et ils durent camper sur les bords du fleuve, qu’on leur ordonna de se tenir prêts à passer. Après quelques jours, durant lesquels on leur avait interdit tout rapport avec le reste des troupes, on les commanda pour une parade, où le général avait, disait-on, à leur adresser quelques propositions d’arrangement. De ce moment, ils se virent joués encore une fois ; mais il était trop tard pour y porter remède : toutes les embarcations du voisinage ayant reçu ordre de descendre le fleuve, ils ne pouvaient songer à gagner l’autre rive. Les canons de la forteresse étaient pointés sur leur camp ; des batteries, appuyées par les troupes du 13e, leur coupaient la retraite sur les routes qui mènent de Shikarpore à Sukkur ; bref, ils étaient cernés, et il fallait ou se rendre à discrétion ou périr jusqu’au dernier homme. Aussi n’opposèrent-ils aucune résistance, lorsque le général, aidé des officiers indigènes, vint lui-même choisir dans leurs rangs trente-neuf soldats reconnus pour les principaux promoteurs de l’émeute. Le prétendu gouverneur-général et le prétendu commandant en chef furent également saisis, désarmés et chargés de fers.

Le jour même parut un ordre du jour qui interdisait toute communication de ces faits aux divers organes de la presse ; le général exprimait en même temps l’espérance que sa conduite serait approuvée du gouvernement, et donnait au régiment soumis l’assurance d’une pleine et entière amnistie, dont les fauteurs de la révolte demeureraient seuls exceptés. Ce pardon fut confirmé par sir C. Napier, qui avait en mains les pouvoirs nécessaires pour licencier le régiment, mais qui se contenta de lui retirer temporairement ses étendards. Quant au colonel Mosely, dont l’imprudence avait aggravé la première sédition, il passa, quelques mois après, devant la grande cour martiale, et fut privé de son grade.

Le staff-sergeant raconte l’exécution de quelques-uns des mutins compromis particulièrement dans cette affaire, à laquelle d’autres émeutes militaires, — celle de Barrackpore fut la plus sanglante, —