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Bombay, où il arrive par mer et d’où il repart pour Kurratchie, port de mer situé à l’extrémité de la ligne montagneuse qui sépare le Belouchistan du pays des Scindhys. Il faut le chercher, sur les cartes bien faites, à cinquante milles au-delà d’une des bouches de l’Indus (Gharra ou Sutledge mouth) et à six cents milles à l’ouest de Bombay. C’est, à vrai dire, la clé du Scindh. Un bateau à vapeur construit en fer pour cette navigation spéciale vint y chercher le détachement dont le staff-sergeant faisait partie et lui fit remonter l’Indus jusqu’à Sukkur.

Ce pays, qui est compris dans le Scindh supérieur, est, parmi les districts récemment occupés, un des plus malsains et des plus redoutés par les troupes européennes. Les soldats indigènes eux-mêmes y sont décimés par d’horribles fièvres, qui ont, à certains égards, les caractères de la peste. Déjà sur le bateau à vapeur qui, ramenant une cargaison de malades, remportait avec lui de nouvelles victimes, la terrible influence se faisait sentir. Entassés sur le pont, où leurs vêtemens de coton les défendaient mal contre la glaciale rosée des nuits indiennes, les cipayes souffraient et mouraient avec cette calme résignation qui est le caractère distinctif de leur race. A peine l’un d’eux avait-il rendu le dernier soupir, qu’on le jetait sans cérémonie par-dessus le bord, et son cadavre s’en allait vers la mer, avec tant d’autres que les flots de l’Indus emportent, qu’il dépose çà et là sur ses rives, et que se disputent les chacals, les hyènes, les choucas, les aigles, les alligators, habitués ; depuis des siècles à cette curée humaine.

Fameux par l’inconstance de ses ondes et les ravages qu’il a de tout temps causés, l’Indus éloigne les populations de ses rives sinueuses. A peine çà et là, dans certains districts où il est plus profondément encaissé, voit-on quelques échantillons de culture, quelques villages perdus au milieu des palmiers et des dattiers, quelques villes dont les minarets blanchis à la chaux renvoient au loin les vives clartés du ciel.. C’est dans ces rares oasis que les pauvres ryots cultivent avec une admirable patience de vastes champs de blé qui leur donnent rarement le pain de chaque jour. C’est là que des nuages de poussière annoncent de temps en temps l’arrivée d’un berger scindhy, qui vient désaltérer ses troupeaux de buffles bossus, de maigres brebis, de chèvres aux longues oreilles bigarrées, dans les eaux poudreuses du fleuve. De distance en distance, on rencontre une station de bois, préparée d’avance pour l’approvisionnement des steamers. Les voyageurs profitent de la halle pour descendre à terre, les soldats européens pour se promener à travers les jungles déserts, les Indiens et les mahométans pour se livrer en toute liberté à leurs travaux de boulangerie et de cuisine. C’est alors de préférence qu’ils préparent leurs chupeties (gâteaux de froment) et font bouillir leur congie, c’est-à-dire leur riz. On pousse quelquefois jusqu’au village le plus voisin, où, moyennant 8 ou 10 francs (3 ou 4