physique. Il lui faut des élémens, une atmosphère renouvelée, des routes lumineuses, des influences stimulantes. Or, le service, chez nous, n’admet que pensées étroites, vœux bornés, espérances mesquines. L’armée anglaise ne peut avoir ni un Ney ni un Murat. Tels hommes que la nature avait rendus aptes à ce rôle ont vécu et sont morts simples sentinelles, sans nom et sans estime...» «Il nous manque, dit-il ailleurs, une École Polytechnique. » Bref, à chaque instant, on discerne, à travers les protestations résignées d’une âme assez humble et d’un esprit modéré, la plainte énergique du plébéien contre les abus du régime aristocratique.
Les femmes d’Europe sont, dans l’Inde, autant de raretés merveilleuses et recherchées à l’extrême. Heureux le père qui a deux ou trois filles un peu passables à établir dans ce fortuné pays ! Bien loin de lui demander une dot, les épouseurs, qui se présentent par douzaines, le comblent d’offrandes propitiatoires, tout prêts à payer fort cher l’honneur d’être admis dans sa famille. Et non moins heureuse la veuve inconsolable qui voudrait être consolée : avant que ses premiers pleurs aient séché sur ses joues, elle est entourée d’admirateurs empressés à solliciter l’héritage matrimonial du défunt. Le staff-sergeant raconte qu’il n’est pas rare de voir des employés civils de la compagnie venir s’informer dans les casernes si, par hasard, quelque veuve de soldat serait disposée à les accepter pour époux. Il cite une femme qui avait eu trois maris en six mois, et une autre qui, veuve de cinq Européens, gardait de chacun d’eux un souvenir vivant.
De là un grand nombre d’unions plus ou moins légitimes entre les résidens européens et les femmes indiennes. Aussi la classe des métis (half-castes) tend-elle à se multiplier prodigieusement. Quelques graves esprits, — faut-il compter parmi eux le spirituel capitaine Basil Hall ? — voient un danger imminent pour l’empire indo-britannique dans le rapide accroissement de cette nouvelle race, à qui, sous très peu d’années, il sera facile de lutter contre les possesseurs actuels de l’immense colonie. C’est parmi les half-castes que les soldats vont en général chercher leurs femmes. Il y en avait plusieurs au camp de Sukkur, choisies parmi les plus jolies élèves d’une école d’orphelines établie à Bombay (Byculla orphan school). En général, leur éducation était assez bonne, et elles auraient pu devenir d’excellentes ménagères, n’eussent été les mauvais maris auxquels le sort les avait attachées. Vindicatives et passionnées, ces femmes ressentent profondément l’insulte et les mauvais traitemens, qu’elles attribuent volontiers à l’orgueil d’une caste supérieure, au lieu d’y voir tout simplement les aveugles excès de l’ivrognerie. En très peu de temps, elles prennent leurs maris en aversion, négligent tous les devoirs intérieurs, apprennent à boire, à fumer le houka tout le long de la journée, et finissent invariablement par tomber au rang des plus viles courtisanes.