En octobre 1781, il adressait au cardinal Hrzau la lettre suivante :
« Monsieur le cardinal, depuis que je suis monté sur le trône et que je porte au front la première couronne du monde, j’ai fait de la philosophie la législatrice de mon empire. L’Autriche doit par elle recevoir une nouvelle forme, l’autorité des ulémas sera restreinte, et les droits du souverain rétablis dans leur ancien éclat. Il est indispensable que j’écarte du domaine de la religion certaines choses qui n’auraient jamais dû en faire partie. Comme je déteste les superstitions et les sadacéens, je saurai en affranchir mon peuple ; à cet effet, je supprimerai les couvens et je congédierai les moines ou je les soumettrai aux évêques de leurs diocèses. On me dénoncera à Rome comme usurpateur du royaume de Dieu, je le sais, on criera bien haut que la gloire d’Israël est souillée, on s’irritera surtout que j’aie entrepris toutes ces choses sans l’approbation du serviteur des serviteurs de Dieu.
« Voilà cependant à quoi nous devons la décadence de l’esprit humain… Jamais les serviteurs de l’autel n’ont voulu consentir à ce qu’un gouvernement les reléguât à la seule place qui leur convient, et ne leur laissât d’autres occupations que la méditation de l’Évangile ; ils n’ont jamais compris que la loi civile pût empêcher les lévites d’usurper le monopole de la raison humaine. Les principes du monachisme, depuis Pacôme jusqu’à nos jours, sont entièrement contraires aux lumières de la raison, le respect des moines pour les fondateurs de leur ordre s’est changé en idolâtrie, et nous voyons revivre en eux ces Israélites qui allaient à Bethel adorer le veau d’or. Cette fausse interprétation de la religion s’est répandue dans le vulgaire, qui ne connaît plus Dieu et attend tout des saints !
« L’influence des évêques, consolidée par moi, détruira bientôt ces fausses croyances ; je donnerai à mon peuple, au lieu du moine, le prêtre ; au lieu du roman des canonisations, l’Évangile ; au lieu des controverses, la morale. J’aurai soin que le nouvel édifice que j’élèverai pour l’avenir soit durable ; mes séminaires généraux seront des pépinières de bons prêtres, et les curés qui en sortiront porteront dans le monde un esprit éclairé, et le communiqueront au peuple par un sage enseignement. Ainsi, dans quelques siècles, il y aura de vrais chrétiens ; ainsi, quand j’aurai accompli mon plan, les peuples de mon empire connaîtront suffisamment leurs devoirs envers Dieu, envers la patrie et envers le prochain, et nos neveux nous béniront un jour de les avoir délivrés de la tyrannie de Rome, et d’avoir ramené les prêtres à leurs devoirs en soumettant leur avenir au seigneur, mais leur présent à la patrie. »
L’empereur se mit à l’œuvre sans retard. La monarchie autrichienne ne comptait pas moins de soixante-trois mille moines dans trois mille couvens. On supprima d’abord, comme entièrement mutilés à la société, tous les solitaires, tous les ordres mendians, tous ceux qui menaient une vie purement contemplative, comme les chartreux et les camaldules, et tous les ordres de femmes : carmélites, capucines, bénédictines, visitandines, cisterciennes, dominicaines, prémontrées, paulines, etc., à l’exception des sœurs d’Elisabeth, qui avaient soin des malades, et des ursulines, qui instruisaient les filles pauvres. On a peut-être injustement reproché à Joseph II de s’être montré cruel envers les moines réformés. Il fit passer les biens des couvens dans la caisse de la religion, et les revenus furent divisés en trois parts : la première fut destinée à salarier les curés des paroisses nouvellement créées, la seconde dota les écoles publiques, et la troisième assura