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un courage calme et une pleine confiance dans l’avenir. Malheureusement il eut le tort de s’abuser sur ses moyens d’action ; il compta vainement sur le concours intelligent et dévoué de son administration. Une lettre écrite par lui au chef du personnel d’état en 1783 explique parfaitement la nature des obstacles qu’on lui suscitait sans cesse, et contient des conseils qu’il ne serait pas inutile de méditer aujourd’hui. « Trois ans se sont écoulés depuis que j’ai entrepris l’administration de l’état. J’ai pendant ce temps fait connaître suffisamment mes principes, mes sentimens et mes projets, avec beaucoup de détails, de lenteur et de fatigue. Je ne me suis pas contenté de donner des ordres, je les ai expliqués et développés. On ne doit se proposer dans tout ce que l’on entreprend qu’un intérêt général, ou du moins le bien du plus grand nombre. Celui qui n’a pas d’amour, pour le service de son pays et de ses concitoyens, celui qui ne se sent pas enflammé de zèle à l’idée de faire du bien, d’être utile aux autres, celui-là n’est pas fait pour le service public et n’est pas digne de porter un titre honorable. L’intérêt personnel est la ruine du service public, le vice le plus impardonnable chez un employé de l’état ; l’intérêt personnel ne consiste pas seulement à se laisser corrompre, mais encore à céder à des considérations particulières qui obscurcissent la vérité. Un inférieur qui agit ainsi trahit ses devoirs ; un supérieur qui l’autorise ou le tolère trahit ses sermens. Celui qui sert l’état doit faire abstraction de lui-même, aucune considération particulière, aucune affaire personnelle, aucun intérêt accessoire, ne doivent le distraire de son occupation principale ; aucun débat d’autorité, aucune question de cérémonial, ne doivent le détourner de son but essentiel, qui est de faire le bien. Sous quelque forme que les affaires se présentent, bottées ou non, bien ou mal peignées, cela doit être égal à un homme raisonnable… Les provinces de la monarchie ne formant qu’un tout et n’ayant qu’un seul et même intérêt, toutes ces rivalités et ces privilèges qui d’une province à l’autre ont causé jusqu’ici tant de griffonnage inutile doivent cesser désormais. La nationalité, la religion, ne doivent établir aucune différence entre mes sujets… Tels sont mes principes, et je pourrais peut-être vous citer ma conduite pour exemple. » De longs règlemens développés avec soin dans cette lettre attaquaient dans sa source même un mal qui n’a que trop envahi les sociétés modernes. L’intérêt personnel est le vice des pays libres.

Cependant Joseph ne négligeait pas les intérêts de la politique extérieure. Je passé sous silence quelques événemens d’une importance secondaire et momentanée, tels que les différends sur la navigation de l’Escaut et la suppression du traité des barrières ; mais en 1785 éclata un projet nourri de longue main, qui devait assurer à l’Autriche par des moyens pacifiques un résultat qu’elle avait vainement poursuivi sur tous les champs de bataille. Les négociations relatives à l’échange de la Bavière furent conduites avec une grande habileté par le prince de Kaunitz, ce diplomate éminent dont la finesse, la discrétion et la longue autorité semblent revivre aujourd’hui en Autriche. L’empereur était secrètement convenu avec l’électeur de Bavière, Charles-Théodore, d’un échange des Pays-Bas autrichiens contre la Bavière et le Palatinat. Il n’est pas besoin de faire ressortir les immenses avantages que cet échange promettait à l’Autriche. La Bavière, riche, fertile, industrieuse, s’enclavait naturellement entre les états héréditaires les fiefs de Souabe et la Bohême. Dès-lors l’Autriche devenait