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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 16.djvu/747

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intervint en faveur de l’autorité impériale par un bref vraiment évangélique adressé au clergé flamand ; mais la voix du chef de l’église fut dédaigneusement repoussée par ce peuple qui se révoltait pour défendre un séminaire.

L’empereur, cruellement blessé de l’ingratitude de ses sujets, ne devait pas voir se consommer la perte des Pays-Bas. Chacune des phases de la révolte, en déchirant son cœur, semblait épuiser en lui les sources de la vie. De toutes parts, les obstacles s’entassaient sous ses pas ; ses ennemis étaient ardens, nombreux, insaisissables, et il cherchait en vain autour de lui une sympathie, une amitié. Kaunitz, qui voyait baisser la puissance et la vie de son maître, s’enveloppait dans une réserve respectueuse ; il n’avait jamais approuvé les réformes de Joseph II même en les faisant exécuter, et il prévoyait bien que Léopold de Toscane renverserait l’œuvre de son frère, le jour de son avènement. Joseph, découragé, lui écrivait : « Lorsqu’un Néron ou un Denis de Syracuse ont agi en despotes cruels, impitoyables ; lorsque d’autres princes, abusant de la puissance que le sort leur avait confiée, n’ont songé qu’à satisfaire leurs passions, ils devaient s’attendre à rencontrer des obstacles à leur volonté et une légitime résistance ; mais moi, je me suis constamment occupé à vaincre les préjugés qui assiégent mes états, à gagner la confiance de mon peuple, n’épargnant ni peine, ni fatigue, ni tourmens, réfléchissant mûrement sur les moyens que j’employais, et cependant je trouve partout des obstacles, même chez ceux sur qui je croyais pouvoir le plus compter. Comme souverain, je ne mérite pas la défiance de mes sujets. Si les devoirs de mon rang ne m’étaient pas connus, si je n’étais pas moralement persuadé que je suis destiné par la Providence à porter avec la couronne le fardeau des devoirs qui y sont attachés, mon mécontentement me porterait à désirer la fin de ma vie. La mort me semble le seul moyen d’éviter de voir ce que m’annoncent des pressentimens trop réels basés sur les faits actuels, mais je connais mon cœur. Intimement persuadé de l’intégrité de mes vues, j’espère que lorsque j’aurai cessé d’exister, la postérité, plus équitable, plus impartiale, appréciera tout ce que j’ai fait pour mon peuple avant de me juger. »

Joseph chercha une diversion à sa douleur, en se consacrant tout entier aux formidables préparatifs de la guerre prochaine ; Lascy avait conçu le plan de campagne, qui consistait à former un immense cordon militaire s’étendant de la Gallicie à la mer Adriatique, pour aller se renouer avec l’armée russe autour de la forteresse de Choczim. L’empereur devait conduire en personne l’armée principale qui opérerait sur le Danube et sur la Save. On forma cinq autres corps détachés pour couvrir la Bukowine, la Transylvanie, le Banat, l’Esclavonie et la Croatie. L’effectif des six corps d’armée était de 245,000 hommes avec 36,000 chevaux et 898 pièces de tout calibre. Le corps principal s’élevait à 125,000 hommes avec 20,000 chevaux. Joseph, avec d’aussi puissans moyens d’action, se promettait les plus magnifiques résultats, et pourtant toutes ses illusions furent cruellement dissipées. Une attaque imprévue, du roi de Suède, en Finlande, paralysa l’action de l’armée russe du Danube, et le grand-vizir Joussouf-Pacha, se jetant avec audace sur les lignes autrichiennes trop étendues, en rompit de réseau, ravagea la Basse-Hongrie, et, tombant à l’improviste sur les derrières du corps principal commandé par l’empereur, l’obligea à une retraite précipitée qui ressemblait beaucoup à une déroute.