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choses. C’est presque partout le même modèle de gouvernement, le même type d’institutions. Depuis cinquante ans, les peuples, si diverses qu’aient été leurs origines et leurs mœurs, convergent à une ressemblance volontaire. Cette uniformité a ses raisons et ses bienfaits, mais aussi la vie morale des nations a beaucoup perdu de ces aspects variés qui font la richesse et la beauté de l’histoire. Je ne sais quoi de prévu et de monotone pèse sur leurs destinées. Partout ce sont des règles et un esprit de système qui à force de vouloir diriger l’activité humaine l’emprisonnent et la mutilent. La méthode étouffe la vie. Il y a dans les sociétés démocratiques une pente irrésistible à enchaîner la liberté de l’homme, a la réduire à n’être que l’instrument des désirs, des volontés de la foule. La véritable force de l’esprit et de l’ame peut seule résister à ce despotisme, d’autant plus dangereux qu’il s’exerce au nom des progrès de l’humanité.

Quand en prenant son point de départ dans le temps présent on remonte le cours de l’histoire humaine, on retrouve, surtout en arrivant aux époques reculées, cette originalité précieuse, cette puissance morale que nous regrettons. C’est une belle chose à contempler que la jeunesse du genre humain, jeunesse vive, orageuse et féconde, pendant laquelle la plupart des principes encore vivans aujourd’hui se produisirent avec un incomparable éclat. Alors un peuple ne se faisait pas l’imitateur d’un autre : au contraire, chaque nation je parle des nations grandes et vigoureuses se reconnaissait une vocation spéciale et s’y vouait avec énergie. Dans leur sein, l’individu ne déployait pas moins de force : l’autorité avec laquelle la cité, la république, traçait au citoyen ses devoirs, loin de l’intimider, l’exaltait. À la fois serviteur de l’état et souverain lui-même, l’homme portait dans sa conduite une fermeté calme et fière que les plus cruelles rigueurs de la destinée ne fléchissaient pas. Les esclaves seuls connaissaient la peur. Cette organisation des peuples, ce tempérament des individus, eurent pour conséquence naturelle la grandeur des actions et des idées. L’héroïsme, l’imagination, l’intelligence, s’élevèrent à une hauteur qui la plupart du temps nous paraît inaccessible.

Trois peuples surtout nous ont légué un héritage qui est la partie la plus solide du fonds des modernes. Aux Grecs nous devons la science et l’art, aux Romains le droit et la politique, aux Juifs la religion. Le théâtre, la statuaire et la philosophie grecques, la législation romaine, Tite-Live commenté par Machiavel, par Montesquieu, Napoléon imitait César, le Pentateuque et l’Évangile ; sont d’illustres témoignages de cette transmission des idées. Nous voudrions aujourd’hui caractériser le peuple qui mit au monde le christianisme.

Une analyse attentive découvre dans le génie des peuples vraiment historiques les mêmes lois de composition que dans l’esprit d’un homme