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compromise par la cordialité de ces rapports. Heureux privilège de ces hommes énergiques, dont l’indulgence ne saurait être taxée de faiblesse, de pouvoir être impunément humains et débonnaires ! « Je puis me vanter, disait Nelson, d’avoir fait mon devoir tout aussi bien que les plus rigides de ces messieurs, et de l’avoir fait sans perdre l’affection de ceux qui servaient sous mes ordres. » Aussi, pendant que la sédition grondait sourdement dans l’escadre de Cadix, le vaisseau que montait Nelson n’eut-il point à subir une seule cour martiale. Ce vaisseau était cependant le Theseus, un de ceux dont l’équipage avait pris la part la plus active aux derniers troubles mais il portait à peine depuis quelques semaines le pavillon de Nelson, que ce dernier trouva sur le gaillard d’arrière le billet suivant :

« Gloire à l’amiral Nelson ! Que Dieu bénisse le capitaine Miller ! Graces leur soient rendues pour les officiers qu’ils nous ont donnés ! Nous sommes heureux et fiers de servir sous leurs ordres, et nous verserons la dernière goutte de notre sang pour le leur prouver. Le nom du Theseus sera immortel comme l’est déjà celui du Captain[1]. »


II.

Promu au grade de contre-amiral, grace à son rang d’ancienneté, le 20 février 1797, et maintenu sous les ordres de l’amiral Jervis, Nelson, à l’âge de trente-neuf ans, avait à peine jeté les fondemens de sa gloire ; mais il répétait souvent avec une naïve confiance ces paroles prophétiques : « Une fois dans le champ de l’honneur, je défie qu’on me tienne en arrière. » Sous un pareil chef, les matelots du Theseus ne pouvaient attendre long-temps l’occasion de montrer la sincérité de leurs promesses.

Le 31 mars 1797, l’amiral Jeryis à la tête de 21 vaisseaux de ligne, avait quitté la rade de Lisbonne et était venu établir sa croisière devant Cadix, où se trouvaient réunis en ce moment 28 vaisseaux espagnols sous le commandement de l’amiral Mazarredo. On ne doit point oublier que les galions chargés des trésors du Nouveau Monde avaient, de tout temps, rendu la guerre avec l’Espagne très populaire dans la marine anglaise, et que l’escadre de Jervis avait hâte de recueillir les fruits de sa victoire. Aussi, à peine le combat du 13 février avait-il obligé la flotte de l’amiral Cordova à se réfugier dans Cadix, que les frégates anglaises s’étaient échelonnées du détroit au cap Saint-Vincent, afin d’intercepter les navires attendus d’Amérique ; mais le résultat n’avait point répondu à leurs espérances : le vice-roi du Mexique, que l’on croyait parti de la Vera-Cruz avec d’immenses trésors,

  1. Vaisseau que montait Nelson au combat du cap Saint-Vincent.