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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 16.djvu/839

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et dans un tel état de détresse, que la plus chétive frégate française eût été regardée comme une rencontre inopportune !… Il a plu au Dieu tout-puissant de nous conduire en sûreté au port. »


Nelson avait réparé ses avaries ; mais, incertain de la route qu’il devait suivre, contrarié par des calmes constans, il était encore le 5 juin à la hauteur de la Corse, quand il fut rallié par le brick la Mutine. Ce bâtiment précédait un renfort de 11 vaisseaux que lui amenait le capitaine Troubridge, et lui portait l’ordre de poursuivre la flotte française sur quelque point qu’elle se fût dirigée, jusqu’au fond de l’Adriatique ou de l’Archipel, jusqu’au fond de la mer Noire, s’il était nécessaire. Bientôt, en effet, Nelson opéra sa jonction avec la division du capitaine Troubridge, et se trouva à la tête d’une escadre composée de 13 vaisseaux de 74 et d’un vaisseau de 50 canons.

Le vaisseau de Collingwood eût pu faire partie de ce renfort, mais lord Jervis l’avait retenu devant Cadix. « Notre bon chef, écrivait Collingwood dans l’amertume de son désespoir, m’a trouvé de l’occupation. Il m’a envoyé croiser à la hauteur de San-Lucar pour arrêter les bateaux espagnols qui portent des légumes à Cadix. O humiliation ! si je n’avais eu la conscience de n’avoir jamais mérité un traitement pareil, si je ne m’étais dit que les caprices du pouvoir ne sauraient m’enlever l’estime des gens de cœur, je crois que je serais mort d’indignation !… Mon vaisseau valait, sous tous les rapports, ceux qu’on expédiait à Nelson. Pour le zèle, je ne le cède assurément à personne, et mon amitié, mon amour pour cet admirable amiral me désignait avant tous les autres pour servir sous ses ordres. J’ai vu cependant les vaisseaux qui l’allaient rejoindre se préparer à nous quitter ; je les ai vus partir… et je suis resté ! » Ce n’était point le dernier mécompte qui fût réservé à Collingwood. Jusqu’à Trafalgar, cet ardent officier, constamment traversé dans ses espérances, ne devait plus connaître de la guerre que d’ingrats blocus.

Se flattant encore d’atteindre la flotte française à la mer, Nelson partagea ses forces en trois colonnes d’attaque. Le Vanguard qu’il montait, le Minotaur, le Leander, l’Audactous et le Defence formaient la première colonne ; la seconde, conduite par le capitaine Samuel Hood, se composait du Zealous, de l’Orion, du Goliath, du Majestic et du Bellerophon. Ces deux divisions devaient combattre les treize vaisseaux de l’amiral Brueys. La troisième colonne, qui ne comptait que quatre vaisseaux, le Culloden, le Theseus, l’Alexander et le Swiftsure, était destinée, sous les ordres du capitaine Troubridge, à se jeter dans le convoi et à couler ou à détruire les bâtimens sans défense qui portaient les glorieux soldats des armées du Rhin et d’Italie. Toutefois le sort ne devait, point permettre cette rencontre, dont l’Angleterre eût bien pu déplorer l’issue. Le secret de notre expédition en Égypte avait été si bien gardé,