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songe à donner[1]. «  Dès le commencement de l’action, tout a été livré à la faculté individuelle de chaque vaisseau… Ceux-là seuls peuvent combattre qui se trouvent dans la partie de la ligne que les ennemis ont voulu attaquer[2]. » L’espoir de Nelson na point été trompé « Je savais, bien, disait-il, quelques mois plus tard, qu’en attaquant l’avant-garde et le centre de l’armée française avec une brise qui soufflait dans la direction même de sa ligne d’embossage, je pourrais, à mon gré, concentrer mes forces sur un petit nombre de ses vaisseaux. Aussi avons-nous constamment combattu avec des forces supérieures. » Que pourront les plus nobles efforts contre de pareilles chances ? Notre avant-garde succombe la première : sur 400 hommes d’équipage, le Conquérant en a plus de 200 hors de combat ; le capitaine de l’Aquilon est mort sur son banc de quart, celui du Spartiate a reçu deux blessures. Ces deux vaisseaux ont eu 150 hommes tués et 360 blessés. Le Guerrier a perdu ses trois bas-mâts ; le Peuple-Souverain a coupé ses câbles et laissé sur l’avant du Franklin un funeste intervalle qu’est venu occuper le Leander. Le centre, où l’incendie de l’Orient a jeté le désordre, voit alors ses vaisseaux dispersés ou écrasés par l’ennemi. Au lever du soleil, on aperçoit le Mercure et l’Heureux échoués au fond de la baie. Trop voisins de l’Orient, ils ont dû s’éloigner de ce vaisseau embrasé. Le Tonnant, le Guillaume-Tell, le Généreux et le Timoléon figurent seuls encore sur le champ de bataille ; mais le Theseus et le Goliath, que notre avant-garde a cessé d’occuper, viennent soutenir le Majestic et l’Alexander, et d’autres vaisseaux anglais s’apprêtent à suivre ce premier renfort. Le contre-amiral Villeneuve, qui, sur le Guillaume-Tell, commandé l’arrière-garde, appareille, à onze heures du matin, avec les débris de l’armée française. En ce moment, l’Heureux et le Mercure ont été amarinés par l’ennemi ; mais le Tonnant, et le Timoléon ne le sont pas encore. Démâté de tous ses mâts, privé de son capitaine, qui a eu un pied emporté et la jambe fracturée, le valeureux Tonnant, comme l’appelle Decrès, compte déjà 110 hommes tués et 150 blessés. Il a successivement combattu, à portée de fusil, dans la nuit du 1er août, le Majestic, dont le capitaine a été frappé à mort par une balle, l’Alexander et le Swiftsure. Ses couleurs flottent au tronçon de son grand mât ; il ne les amène qu’au bout de vingt-quatre heures, quand le Theseus et le Leander viennent de nouveau l’assaillir. Trop maltraité pour pouvoir imiter la manœuvre de Villeneuve, le Timoléon est forcé de faire côte. Le Guillaume-Tell et le Généreux, accompagnés des frégates

  1. Rapport du citoyen Frégier, lieutenant de vaisseau faisant fonctions de capitaine de frégate sur le Timoléon, commandé par le capitaine de vaisseau Léonce Trullet.
  2. Lettre confidentielle du contre-amiral Decrès au vice-amiral Bruix, ministre de la marine.