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cessaient de l’étreindre, et regagnait le bois ou la plaine avec l’empreinte du propriétaire. Ce fut bientôt autour de nous une vapeur épaisse au milieu de laquelle on ne distinguait plus que confusément des corps fauves frémissant sur le sable, des figures bronzées et des lueurs de fer rougi. De temps à autre, un bond prodigieux jetait partout le désordre ; c’était un vaquero emporté par un poulain encore indompté qui se débattait, mais en vain, sous la douleur de sa brûlure et sous l’étreinte de son cavalier.

J’ai dit que c’était au moment de briser le cheval que le danger commençait pour le vaquero. Voici comment il est d’usage de procéder : quand le poulain a été terrassé et marqué, selon la force de résistance qu’il oppose, on le maintient par terre ou on le laisse se relever sur ses jambes. Un bandeau de cuir est jeté sur ses yeux. L’animal, privé de lumière, se laisse presque toujours assez docilement seller et sangler. Une corde de crin est nouée au-dessus des naseaux de manière à former à la fois une espèce de caveçon qu’on appelle bozal, et une bride qui sert à diriger le cheval. Le vaquero, après s’être assuré que la selle ne tournera pas, chausse ses longs éperons, et, selon la position du cheval, se laisse enlever par lui, ou saute brusquement en selle et lève le bandeau de cuir. Le cheval hésite un instant, mais bientôt la vue des savanes qu’il a l’habitude de parcourir en liberté, l’odeur des forêts natales, le poids qui l’opprime pour la première fois, lui arrachent un hennissement de fureur ; son hésitation a cessé. Il essaie d’abord de secouer la selle, mais la sangle creuse dans son ventre un large et profond sillon. Il cherche à mordre les jambes du cavalier, mais le bozal qui comprime ses naseaux est rudement tiré en sens inverse. Il tente de se dérober en traçant des courbes immenses, en lançant des ruades désespérées ; il se dresse presque droit sur ses jambes de derrière pour jeter bas son cavalier par un bond furieux en avant. Efforts inutiles ! jusqu’alors inébranlable sur sa selle, l’homme est resté passif : il attaque à son tour. Deux coups d’éperons lancés par lui jusque sous les aines arrachent au cheval un cri rauque de surprise et de douleur. Ivre d’impuissante colère, d’orgueil froissé, l’animal furieux se ramasse sur ses jarrets nerveux, qui se détendent comme un double ressort d’acier : il franchit d’un bond une prodigieuse distance, et s’arrête subitement ; mais le vaquero a jeté instinctivement son corps en arrière, et son buste se maintient dans un merveilleux équilibre. Ses éperons retentissent de nouveau sur les flancs du cheval, qui repart sans s’arrêter parce que les molettes labourent ses lianes, et que la cuarta meurtrit sa croupe. Enfin, après cette nouvelle course, les naseaux de l’animal, comprimés par le caveçon, ne laissent plus échapper qu’une respiration sifflante, ses flancs fument et saignent. Lorsqu’il a cherché inutilement,