son essor coïncidait avec une manifestation nouvelle de cet ancien génie. Cette langue que l’érudition de son abaissement, discutait comme une chose morte, un homme doué des plus heureux dons, Jasmin, la faisait revivre et lui prêtait une grace inattendue.
Certes, depuis le temps où chantait Bertrand de Born jusqu’à Jasmin, il s’est accompli des événemens qui réduisent l’importance d’un tel fait, qui lui donnent du moins un caractère très exceptionnel. Je ne méconnais pas les altérations, les changemens inévitables qu’a dû subir la langue maniée avec tant d’habileté par le poète méridional. L’instrument subsiste toujours pourtant, et rend encore des sons harmonieux. Déchue de sa splendeur, de son droit de cité, pour ainsi dire, cette langue, qui fut la langue des cours, est restée dans le peuple, qui est plus fidèle qu’on ne pense à ses traditions. Dans ce pays de France, qui offre au monde le type de l’unité, on serait étonné peut-être en apprenant qu’il existe des populations pour lesquelles le mot de franciman a un sens équivalent à celui d’anglomane pour nous. Le franciman et le paysan qui se pique d’abandonner les vieilles coutumes et de parler le français, tandis que les masses conservent leur langage traditionnel et semblent n’entendre que celui-là. Faut-il trouver étrange cette persistance ? Jasmin le dit très bien dans la sérieuse et brillante épître à M. Dumon sur les destinées de son idiome. « C’est la langue du travail ; à la ville, dans la campagne, on la trouve dans chaque maison ; elle y reçoit l’homme au berceau, et jusqu’au tombeau l’accompagne… Oh ! dans notre pays, c’est une magie ! Le peuple qui aime à chanter vous jette, sans s’en douter, de grosses poignées de poésie. Aussi garde-t-il sa langue, elle est faite à son allure. Maintenant, vous autres messieurs, franchissez la barrière ! Venez ! plantez un mur d’une triple épaisseur entre les lèvres de la nourrice et l’oreille du nourrisson… » Et il ajoute, en parlant de la petite patrie méridionale, ce vers touchant : « Otez-lui sa misère et laissez lui sa langue ! » Jasmin résume sa pensée dans une admirable comparaison. « …Au milieu de notre promenade, dit-il, tous ces vieux ormes qu’Agen a vus grandir ressemblent, en nous tressant une voûte élevée, à des géans alignés qui se donnent la main. Eh bien ! l’un d’eux, un jour d’orage, trembla, se ploya, abaissa son feuillage : le coup d’œil en fut gâté, et aussitôt nos gouvernans d’envoyer pioches et piocheurs pour l’arracher sans pitié. Mais les travailleurs se lassèrent, les outils se démanchèrent, et l’arbre, restant debout, brava hommes, pioches, gouvernans et tout. Oh ! c’est que l’orme avait, malgré ses vieilles branches, autant de racines que de feuilles… Depuis, plus que jamais, on voit son panache verdoyer ; les oiseaux sont revenus y chanter, et, sous l’ombragé de son beau bouquet, tous, chaque été, y chanteront long-temps. Ainsi en sera-t-il de cette enchanteresse, de cette langue harmonieuse, notre seconde mère ?… » Qu’on laisse de côté