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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 16.djvu/919

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l’originalité franche et indélébile de ce caractère plein de saillies imprévues. L’un des premiers, l’auteur de Thérèse Aubert avait deviné de loin et salué le poète dans Jasmin ; il trouvait l’homme au moins aussi étonnant. C’était un sentiment de sollicitude enthousiaste qu’avait conçu Nodier, car son affection même se mêlait de quelques craintes ; il tremblait de voir ces heureux instincts s’atténuer, se corrompre au contact de Paris ; il ignorait encore qu’une des qualités distinctes de Jasmin, dans son exaltation méridionale, c’est un admirable bon sens qui le guide à travers les écueils où il pourrait se herter, qui lui révèle très bien notamment que son vrai théâtre est le midi, que son plus beau trône est dans cette humble boutique où son génie s’est formé, où il a vécu où il a rêvé, et dont il a fait l’asile inviolable de sa muse populaire.

S’il fut jamais vrai que le poète s’explique par la connaissance de l’homme, c’est certainement de Jasmin que cela se peut dire. Il n’est pas un de ces traits qu’on peut noter en lui, qu’il ne soit facile de retrouver dans ses vers. Dans cette existence hier malheureuse, aujourd’hui prospère, n’aperçoit-on pas le secret de ce mélange de larmes et de sourire qui distingue sa poésie ? On dirait que cette vie accidentée qu’il mène se reflète dans son talent, qui aime à mettre en action les moindres pensées. Jasmin, est un éminent poète lyrique ; mais une de ses tendances, en même temps, c’est de tout réduire en drame. Certes, peu de morceaux égalent, pour la richesse des couleurs et des sentimens, sa pièce de la Charité (la Caritat) ; on ne m’en voudra pas d’en citer un fragment dans l’original même :

… La grandou de Diou. non luzis enpenado
Qu’en fan la caritat, dambé soun soureillet,
De la calourado
De soun halenado,
A la terro aymado,
L’hiver quand a fret ;
Ou d’une plejado
De sa foun sacrado,
L’estiou quand a set !
Que l’homme fasque atal : y’a de penos cruelos
Que se sarron pertout entremièy dios parets ;
Qu’angue las derrouqua dins lous crambots estrets ;
Et qu’aoulot de counta lous astres, las estelos,
Ah ! que counte aci bas lou noumbre des paourets !

…La grandeur de Dieu ne luit tout entière
Qu’en faisant la charité, avec son soleil,
D’une bouffée
De sa chaude baleine,