Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 16.djvu/935

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

voix contre une entreprise où éclate un singulier mépris pour la légalité et la justice. La protestation de notre gouvernement viendra après celle de lord Palmerston ; elle viendra après le refus qu’a fait ce dernier de se joindre à nous pour adresser aux trois cabinets une commune remontrance ; elle pourra donc être rédigée avec la conscience complète et réfléchie de tous les élémens de la situation. Ce qui nous paraît le plus essentiel, c’est que la France, dans une pareille pièce, prenne acte de la violation des traités, et qu’elle signale toutes les conséquences qu’ouvre à son profit la résolution des trois puissances. Elle doit déclarer qu’elle se réserve pour l’avenir de ne consulter, à l’égard de ces traités, que les convenances et les besoins de sa politique.

La France n’a qu’à garder une attitude d’observation. Elle ne saurait songer à jeter au dehors des paroles de menace et de défi. Qui voudrait voir sérieusement un cas de guerre dans la résolution des trois puissances ? Il n’y a que l’exaltation des partis qui puisse répondre par un cri de propagande au coup d’état de Cracovie. La seule réponse qui convienne à un grand pays est dans la fermeté avec laquelle il pratiquera la politique d’indépendance et d’isolement que lui font les circonstances. Être en paix avec tout le monde, sans entretenir d’intimité avec personne, telle doit être notre attitude, et nous aurons au moins de cette façon la liberté de nos mouvemens. Cette politique a souvent été, dans les chambres, par les hommes les plus éminens de l’opposition, indiquée comme la meilleure à suivre ; aujourd’hui nous y sommes ramenés par la nécessité. Sans doute, c’était une grande chose ; impuissant levier que l’alliance de la France, et de l’Angleterre, dans les deux pays, tous les esprits éclairés sont frappés du rôle qu’auraient, à jouer les deux peuples, s’ils voulaient, s’ils pouvaient rester unis. N’est-ce pas leur concert qui, depuis seize ans, a donné la liberté constitutionnelle à la Grèce et à l’Espagne ? La continuité de leur union pourrait accomplir encore des résultats non moins désirables, mais à la condition d’une réciprocité sincère entre les deux gouvernemens. Or, il semble que l’Angleterre ne puisse prendre au sérieux notre prétention de cultiver son alliance sur un pied complet d’égalité, et d’en recueillir de légitimes avantages. Nous ne voulons d’autre preuve de cette disposition de l’Angleterre à notre égard que l’incrédulité qu’a rencontrée l’annonce du double mariage. On ne pouvait se persuader à Londres qu’une fois l’Angleterre ayant fait connaître sa pensée, le gouvernement français pût oser passer outre. L’intimité entre les deux peuples peut-elle exister tant qu’on ne reconnaîtra pas chez nos voisins que nous pouvons avoir une volonté ? Pour que l’amitié fût durable, il ne faudrait pas non plus qu’au moment même où l’union parait la plus entière, la France fût desservie et secrètement menacée dans des intérêts précieux par la politique anglaise. N’est-ce pas une pensée persévérante de lord Palmerston en 1840 comme en 1846, de nous aliéner l’empire turc, en cherchant à persuader au divan que notre politique en Égypte et notre prise de possession de l’Algérie sont choses attentatoires à la puissance de la Porte ? Nous pouvons cependant conserver avec le sultan une sincère alliance sans adopter à son égard la ligne de conduite qui convient à l’Angleterre.

La manière dont a été reçu le bey de Tunis en est la preuve. Ahmed-Pacha, qui a reconnu depuis long-temps tout le prix de notre amitié, souhaitait visiter la France : néanmoins, avant d’entreprendre son voyage, il voulut savoir sur quel pied il serait accueilli. Il désirait être sûr qu’il ne serait pas présenté au roi