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de travail et ces finesses d’intentions auxquelles Mozart s’est laissé aller si complaisamment ; mais jamais le tumulte, le désordre, la confusion que nous nous figurons devoir précéder la scène du jugement dernier, ne furent retracés en traits plus vigoureux et avec d’aussi sombres couleurs. L’on croit voir l’ange de la colère céleste chassant, le glaive en main, la foule tremblante des mortels, et les poussant, pêle-mêle, au pied du trône du juge inexorable. Le Mors stupebit, qui dans Mozart passe inaperçu, ici vous remplit d’effroi. Si le Requiem de Mozart se distingue surtout par une expression tendre et pathétique, c’est par la peinture de la terreur que celui de Cherubini est remarquable. Il est pourtant deux morceaux, le Pie Jesu et l’Agnus Dei, véritables chefs-d’œuvre dans ce chef–d’œuvre, qui, pour l’expression poétique et profondément élégiaque, pourraient le disputer à Mozart. Le caractère de l’Agnus surtout, lugubre dans le début, par dégrès s’adoucit et s’éclaire comme d’un rayon séraphique ; on sent que la prière est exaucée aux cieux avant qu’elle soit achevée sur la terre.

Nous comprenons qu’avec son instinct des grands effets, M. Berlioz ait essayé de s’inspirer du génie de Michel-Ange et de reproduire en musique la page gigantesque du jugement dernier. Chargé, en 1837, de composer une messe de Requiem pour un service funèbre en l’honneur des victimes de juillet, M. Berlioz écrivit l’ouvrage que nous connaissons, toutefois la cérémonie projetée n’eut pas lieu, et la nouvelle partition fut destinée aux obsèques du général Damrémont, qui furent célébrées dans l’église des Invalides. Dans l’un et l’autre cas, on mettait à la disposition du compositeur un local vaste et sonore, ainsi que toutes les ressources dont il pouvait avoir besoin. M. Berlioz, en profita largement. Sa prose fut conçue dans les proportions de la musique de festival. L’effet répondit à tant d’efforts. Cette grande phrase de plain-chant, articulée d’abord par les basses, ces accens timides des soprani, ces deux motifs marchant, ensemble, ces mouvemens impétueux de l’orchestre aussitôt comprimés, cette fanfare des cuivres qui éclate sur le Tuba mirum et semble se répercuter aux quatre coins du monde, ces syncopes terribles, ces voix menaçantes qui s’élèvent sur le roulement profonde des timbales, toutes ces images présentées avec une si effrayante réalité, produiront toujours une vive impression sur les masses. C’est ce dont on a pu juger récemment encore dans l’église de Saint-Eustache.

Nous venons de nommer cette parois de Sainte-Eustache, à laquelle se donnent rendez-vous MM. Adam, Ambroise Thomas, Baulieu, tous les compositeurs qui savent aujourd’hui dérober quelques heures à l’art profane pour les consacrer à la musique d’église. Le motif de cette préférence est qu’il y a, à la tête de la musique de cette paroisse, un homme de conviction, de savoir et d’expérience, un compositeur d’un talent grave et pur, un maître de chapelle actif, un habile chef d’orchestre, qui s’est spécialement voué au culte d’une branche trop négligée de l’art musical, et qui s’est promis de lui rendre tout son éclat. Secondé par le zèle intelligent de M. l’abbé Deguerry, curé de la paroisse, M. Dietsch poursuit sa modeste tâche avec une persévérance que rien ne rebute, pas même les stériles encouragemens des gens qui ne peuvent rien et l’obstiné silence des gens qui peuvent quelque chose. A force de patience et avec des ressources très restreintes. M. Dietsch a su former des chœurs de voix belles et pures, un orchestre nombreux, un répertoire varié, riche des productions de toutes les époques. C’est surtout aux simples dimanches de l’année qu’il faut se rendre à Saint-