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c’est plutôt un instinct, un sentiment. L’illyrisme y tire de la différence des situations une physionomie qui lui est propre. Si l’on excepte la Bosnie, où une portion de la noblesse a adopté l’islamisme et les mœurs musulmanes pour se faire bien voir des Turcs, les populations ont conservé plus fidèlement que les Croates le caractère et les mœurs illyriennes, c’est-à-dire la vie de famille, de municipalité, de tribu, et cet ensemble d’habitudes et d’usages qui appartiennent à la démocratie primitive ; elles n’ont point eu à retourner à l’étude de la langue nationale après l’avoir oubliée, ni à reprendre l’antique vêtement de leurs pères après l’avoir quitté, comme la noblesse et la bourgeoisie croates. Les populations illyriennes de la Turquie n’ont point eu à revenir à l’amour des légendes du pays ; les traditions se sont maintenues toujours intactes et toujours vénérées. Aussi l’on n’a point eu la joie de la découverte ni l’engouement des résurrections. On a d’ailleurs marché plus droit au but, en s’appliquant à lutter avec calme et avec force contre les difficultés matérielles d’une condition misérable pour tous, excepté peut-être pour les Serbes. Arracher aux Turcs le plus de concessions possible par les supplications, les menaces ou les révoltes, tels ont été à l’origine l’esprit et le but du mouvement national des Slaves dans l’empire ottoman. La nécessité et le bon sens leur ont indiqué cette voie, et, avant que l’on eût donné à leur agitation inquiète et naguère violente le nom d’illyrisme, elle avait déjà pour objet l’émancipation de la race.

Cependant on commettrait une erreur grave, si l’on se figurait que l’hostilité des Illyriens contre les Turcs soit aujourd’hui flagrante ; les Serbes, les Bulgares et les Bosniaques eux-mêmes leur témoignent moins de défiance et de haine que les Croates aux Magyars. Si les Ottomans de ces pays ne sont pas en de meilleurs termes avec leurs sujets, la faute n’en est point à ceux-ci. Les Serbes de Belgrade montrent à coup sûr pour les soldats de la forteresse turque plus de tolérance que les Croates pour les magyaromanes de Turopolie. Les Bosniaques et les Bulgares ont, il est vrai, moins de réserve et de patience ; cependant ils ne sont point pressés de faire usage des armes qu’ils tiennent toutes prêtes à leur ceinture et qui ne les quittent point. Ils ont de la mesure dans leurs rancunes et dans leurs vœux, et ce qu’ils attendent quant à présent, ils l’attendent de la réforme, les Bulgares en travaillant, les Bosniaques en frémissant.

D’où peut leur venir cette modération et quel en est le but ? C’est que dans les dernières années, en levant, eux aussi, leurs regards instinctivement sur cette même question slave, qui renferme le secret de toutes les questions orientales, ils ont compris qu’ils ne gagneraient rien en précipitant la ruine de l’empire ottoman. Ils ont vu que la plus grande des difficultés possibles, pour eux, n’est pas de s’affranchir en