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meschedi. Les pèlerins de Kerbelah sont placés un peu plus haut dans l’estime publique. Enfin ceux-là seulement qui ont visité la Caaba et le tombeau du prophète à la Mecque et à Médine peuvent s’intituler hadji. Un homme qui à droit au surnom de kerbelai ou au titre plus pompeux encore de hadji sera très offensé, si on ne lui donne que celui de meschedi.

De Koum à Ispahan, si l’on excepte les ruines d’une ville appelée Sinsin, qui a dû être fort importante[1], la route n’offre rien d’intéressant. Il faut six jours pour franchir les deux cent vingt-cinq milles qui séparent Téhéran d’Ispahan, la seconde capitale de l’empire. Des allées en coupe-gorge, bordées de hautes murailles, qui entourent les jardins des faubourgs, puis d’anciens marchés couvert s, dont l’enceinte déserte et ruinée est plongée dans une obscurité profonde ; plus loin, des bazars modernes, plus vastes, plus aérés, où quelques lampes disséminées répandent çà et là une douteuse lueur, tels sont les premiers aspects qui frappent M. de Bode à Ispahan. On retrouve là ces contrastes de grandeur et de misère, de magnificence et d’abandon, qui sont particuliers aux cités orientales. Ainsi, à côté de rues étroites et tortueuses, on remarque à Ispahan de belles promenades telles que le Chebar-Bagh, avenue célèbre, espèce de boulevard planté de platanes orientaux, qui aboutit à un magnifique pont en pierre jeté sur le Zoyenderod. C’est au-delà de ce pont que s’étend le faubourg de Joulfa, le quartier arménien d’Ispahan.

Cette ville renferme un établissement bien digne de l’attention d’un Européen nous voulons parler de l’école fondée à Joulfa par notre compatriote, M. Eugène Boré, pour l’instruction de la jeunesse arménienne. Cinq mois après la création de cet établissement, trente et un élèves, dont cinq musulmans, fréquentaient déjà l’école. Un Persan et un Arménien y enseignent les langues persane et arménienne sous la direction de M. Boré, qui se charge de montrer aux enfans le français et la géographie. C’est lui aussi qui explique le catéchisme à la partie chrétienne de son petit troupeau. Un moullah est attaché à l’établissement pour l’instruction religieuse des élèves musulmans. Le fait de parens mahométans qui envoient leurs enfans à une école chrétienne, et cela à Ispahan, le siège de l’orthodoxie musulmane, est une preuve remarquable de la tolérance des Persans en matière religieuse, tolérance qu’il faut attribuer en partie aux progrès toujours croissans du sufféisme, secte nouvelle qui s’attache à l’esprit plutôt qu’à la lettre du Coran.

Ce fut à Ispahan que M. de Bode modifia son itinéraire, et que son excursion projetée à Persépolis se transforma en un plus long et plus périlleux voyage. Manoucher-Khan, gouverneur particulier de la province d’Ispahan, et moïtemid-oud-daolat, c’est-à-dire premier ministre, annonça au diplomate russe qu’il se préparait à faire une inspection militaire dans diverses parties du royaume placées sous son administration directe, notamment dans le Louristan et l’Arabistan. Il engagea le baron à l’accompagner dans sa tournée, l’invitant, dans le cas où il ne voudrait point renoncer à son excursion à Persépolis, à venir au moins le retrouver à Shouster, d’où il lui ouvrirait la route de Téhéran par des sentiers

  1. Un missionnaire de la Propagande a découvert dans ces ruines, parmi des monceaux de décombres, plusieurs chambres souterraines avec des hiéroglyphes et des inscriptions cunéïformes.