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générale. Cette idée a été abandonnée. Dans trois semaines, la réunion de six cent dix-sept députés ouvrira pour la Prusse une ère nouvelle. On a beau se défendre d’imiter le constitutionalisme français, on est dès le début en face des conditions et des nécessités du gouvernement représentatif. La couronne va demander de l’argent aux députés : c’est une excellente occasion pour eux de revendiquer l’extension de leurs droits, notamment la périodicité de la diète générale. Il sera difficile au roi de Prusse de refuser cette concession, surtout s’il veut mériter de plus en plus des complimens auxquels il parait avoir été très sensible, nous voulons parler des félicitations qui lui ont été adressées de la part du cabinet whig par le comte de Westmoreland, ministre plénipotentiaire de la Grande-Bretagne auprès de la cour de Berlin. Si ces éloges pouvaient déterminer le roi Frédéric-Guillaume à faire de nouveaux pas dans les voies du gouvernement représentatif, nous serions loin de nous en plaindre, dût la presse prussienne déclamer encore contre le constitutionalisme français.

Il est remarquable qu’au milieu de la paix générale dont jouit l’Europe depuis longues années, les finances des grands états soient aussi sérieusement en souffrance. Le docteur Bowring disait dernièrement dans la chambre des communes que, lorsqu’on examinait les finances de la France, on y trouvait tous les ans un déficit, que le gouvernement était endetté, et que le ministère n’avait pas osé exposer aux chambres l’état réel des finances. Peut-être, en songeant aux embarras de son propre pays, M. Bowring eût-il pu mettre plus de ménagement dans son langage. Toutefois il ne faut pas méconnaître la vérité, même quand elle est durement dite. Il n’est que trop certain que nos deux budgets, tant le budget ordinaire que celui des travaux extraordinaires, présentent des découverts considérables. Peut-être en 1848 la dette s’élèvera-t-elle jusqu’à 300 millions ; peut-être d’ici à deux ans un nouvel emprunt sera-t-il indispensable. Or dans quelles conditions le trésor serait-il réduit à le faire, si d’ici là des nécessités imprévues contraignaient le gouvernement d’affecter la réserve de l’amortissement à un autre emploi que l’extinction du déficit ? Les difficultés du présent, les préoccupations de l’avenir provoqueront nécessairement dans le sein de la chambre des députés les plus sérieux débats sur le fond de la situation financière. En attendant, la chambre se montre peu disposée à accueillir les projets qui entraînent avec eux de nouvelles dépenses. C’est ainsi que la demande d’un crédit extraordinaire de 3 millions pour l’établissement de camps agricoles en Algérie semble destinée à rencontrer une vive opposition ; elle sera combattue, tant par ceux qui ne veulent, plus augmenter le chiffre des crédits que par ceux qui apportent dans la question de l’Algérie des répulsions, des idées systématiques. Ces derniers ont la majorité dans la commission chargée d’examiner la proposition des camps agricoles. M. le général de Lamoricière n’a pas consenti à faire partie de cette commission ; il a mis un scrupule de courtoisie à exposer ses idées sur cette matière en l’absence du maréchal Bugeaud, qui d’ailleurs sera à Paris dans quelques jours. Le maréchal n’aura pas seulement à défendre son système, à s’expliquer sur ce que les vues de M. le général de Lamoricière ont de contraire aux siennes ; il sera assailli par des théories, par des motions de tout genre sur la manière dont il faut s’y prendre pour coloniser l’Algérie. Beaucoup de députés se préparent à dérouler à ce sujet leurs plans à la tribune : si les colons n’affluent pas encore, nous aurons au moins une foule de colonisateurs théoriciens.