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recevoir d’eux des informations utiles à la cause commune. Parmi ces dépêches, celles de lord Hutchinson me paraissent surtout dignes d’être remarquées. Cet officier-général avait été chargé d’une mission auprès de la cour de Berlin. Les détails qu’il transmettait à sir Robert Adair sur les événemens militaires, ses prévisions sur les chances de la lutte engagée en Pologne entre les Français et les Russes, portent l’empreinte d’une grande sagacité et d’une rare modération d’esprit. Au moment même où les alliés faisaient sonner bien haut et comme d’éclatantes victoires leurs succès négatifs de Pultusk et d’Eylau, lord Hutchinson réduisait ces prétendues victoires à leur juste valeur, et il était loin de se laisser aller aux flatteuses illusions dont sir Robert Adair, placé plus loin du théâtre de la guerre, n’était pas toujours préservé lui-même par son bon sens. Un des rapports de lord Hutchinson contient, sur la force relative des Français et des Russes, une appréciation que je crois devoir citer textuellement. « Comme militaire, dit-il, je suis très porté à croire que la France ne triomphera pas de la Russie dans une lutte engagée sur le territoire russe, pourvu, bien entendu, que les généraux russes ne fassent pas d’énormes fautes et aient assez de sens pour éviter de grandes actions générales ; mais, en même temps que je reconnais cet avantage des Russes, je suis convaincu que dans tout pays abondant en provisions, avec de grandes routes et des villes, les Français auront sur eux une supériorité réelle. » Dans une dépêche postérieure, lord Hutchinson, examinant l’état des deux parties contendantes après la bataille d’Eylau, dit que « les Russes peuvent repousser les Français, mais non pas les battre. » Porter de tels jugemens, n’était-ce pas prophétiser non-seulement la bataille de Friedland, qui allait terminer la guerre de Pologne, mais encore la nature et l’issue de la guerre de 1812 ?

C’est qu’à vrai dire, cette campagne de 1806 et 1807, couronnée pour Napoléon par la paix triomphante de Tilsitt, n’en contenait pas moins le sinistre et lointain présage de la grande catastrophe qui devait, quelques années après, détruire son existence politique. 1892 et 1813 s’y trouvent tout entiers en germe. Les difficultés d’une guerre soutenue sous un tel climat, à une si grande distance de la France ; le danger de voir, au moindre revers, à la moindre incertitude de la fortune, les Allemands se soulever contre leur dominateur ; les insurrections partielles précédant le mouvement général des peuples, qui, avec le temps, ne pouvait manquer d’entraîner leurs gouvernemens ; l’attitude expectante et toujours menaçante de l’Autriche préludant à une rupture par des manœuvres diplomatiques et par des offres de médiation : tout ce qu’on devait voir après le désastre de Moscou se présenta, dans de moindres proportions, mais avec une minutieuse ressemblance de détails, après l’équivoque bataille d’Eylau. Le dénouement seul y manqua. On dirait que la Providence, en faisant voir de loin à Napoléon