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rapports qui relient entre eux les élémens d’un groupe et les groupes eux-mêmes ; il s’efforce de représenter ces rapports par la classification, mais cette dernière est nécessairement impuissante. Obligés, dans nos livres, dans nos tableaux, de décrire, de nommer l’un après l’autre les objets de nos études, nous ne pouvons mettre chacun d’eux en rapport immédiat qu’avec celui qui le précède et celui qui le suit. De là des erreurs sans nombre pour les hommes, malheureusement trop nombreux, qui, confondant ces deux choses si distinctes, prennent l’instrument pour le but, la classification pour la méthode. Écoutons ici la parole d’un maître, de Cuvier, qui, après trente ans de travaux et de méditations, semblait prévoir et condamner d’avance bien d’étranges théories que de faux disciples devaient tenter d’étayer de son nom. Dans cette Histoire des Poissons que l’illustre successeur de Linné avait commencée et que termine en ce moment M. Valenciennes, son collaborateur et son ami, Cuvier s’exprimait ainsi : « Plus nous avons fait de progrès dans l’étude de la nature, plus nous avons reconnu qu’il est nécessaire de considérer chaque être, chaque groupe d’êtres en lui-même et dans le rôle qu’il joue par ses propriétés, par son organisation ; de ne faire abstraction d’aucun de ses rapports, d’aucun des liens qui le rattachent, soit aux êtres les plus voisins, soit à ceux qui en sont plus éloignés. Une fois placé à ce point de vue, les difficultés s’évanouissent, tout s’arrange comme de soi-même pour le naturaliste. Nos méthodes systématiques (nos classifications) n’envisagent que les rapports les plus prochains ; elles ne veulent placer un être qu’entre deux autres, et se trouvent sans cesse en défaut. La véritable méthode voit chaque être au milieu de tous les autres ; elle montre toutes les irradiations par lesquelles il s’enchaîne plus ou moins étroitement dans cet immense réseau qui constitue la nature organisée, et c’est elle seulement qui nous donne de cette nature des idées grandes, vraies, dignes d’elle et de son auteur. Mais dix et vingt rayons souvent ne suffiraient pas pour exprimer ces innombrables rapports[1]. »

Quel est donc le fil d’Ariane qui, guidant le naturaliste au milieu de ce labyrinthe, lui permettra de voir et de comprendre pour chacun des êtres qu’il étudie ces dix et vingt rayons dont parle Cuvier ? Le grand homme que nous citons crut le trouver exclusivement dans l’organisation des animaux adultes et plus spécialement dans le système nerveux. Par là il s’écartait des principes posés par le génie de Jussieu, qui demandait à l’embryon lui-même les divisions primordiales du règne végétal. Aujourd’hui, il faut bien le dire, la zoologie tend à rentrer dans la route où la botanique marche depuis long-temps d’un pas

  1. Histoire naturelle des Poissons, par MM. Cuvier et Valenciennes, t. Ier.