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rôle et de nos destinées parmi les grandes nations du monde. Cette méprise tient aussi à une fausse appréciation des circonstances. A la vérité, la haine vivace contre les étrangers n’existe plus au fond des cœurs comme en 1815 ; les fiers et légitimes ressentimens qu’avaient soulevés l’invasion et l’occupation du territoire se sont peu à peu calmés. Aussitôt après la révolution de juillet, le peuple français comprit qu’en se séparant définitivement d’une dynastie dont le retour avait coïncidé avec le succès des armes de ses ennemis, il venait de prendre contre eux la meilleure de toutes les revanches. Ce merveilleux instinct des masses animait à coup sûr les majorités qui, après 1830, déployaient tant de fermeté et de raison pour empêcher le pays d’aller courir les folles aventures et s’engager témérairement dans des voies désordonnées et périlleuses où quelques turbulens voulaient l’entraîner. Aujourd’hui que, grace aux talens de quelques-uns, à la sagesse de tous, nous présentons à l’Europe un spectacle qui peut défier la malveillance des plus malintentionnés, il est naturel que nous nous sentions portés à déposer les vieilles rancunes. Le souvenir de ses revers passés n’incommode plus la France ; elle se sent en droit d’entretenir envers tout le monde des sentimens assurés et tranquilles. Voilà la vérité sur sa soi-disant insouciance ; toute autre explication est puérile ou mensongère.

Si, avant d’examiner les circonstances actuelles de la politique, j’ai cherché à préciser ce qu’on devait penser de la disposition des esprits, c’est que cette disposition a par elle-même une grande influence. Pour les nations comme pour les individus, l’estime de soi-même est une condition indispensable de force et de succès ; rien ne saurait la remplacer. N’aurions-nous aujourd’hui aucune difficulté intérieure à vaincre, tous les événemens du dehors nous seraient-ils favorables, si nous étions réellement atteints au cœur de la mollesse que l’on nous reproche, nous n’en serions pas moins incapables de prétendre à rien et forcément au-dessous de toutes les positions. Notre temps ainsi réhabilité, voyons ce qu’il faut penser de la situation même.

Au mois d’août dernier, il était généralement admis que les élections avaient été favorables à l’administration. Loin de déguiser ses échecs, l’opposition paraissait plutôt disposée à en exagérer la portée. On verra, disait-elle, ce qu’oseront les ministres et leurs partisans quand ils se sentiront maîtres absolus du terrain. Jusqu’à présent, ces sinistres prophéties ne se sont pas réalisées. Quoique les grands débats politiques aient été, d’un commun accord, remis à une autre époque, on a pu juger, pendant la durée de la vérification des pouvoirs, de l’esprit de la chambre de 1846. Il a été généralement trouvé qu’elle s’était montrée intelligente, résolue et modérée. Les petites manœuvres ordinairement employées au début de chaque législature pour créer quelque fraction intermédiaire entre les deux côtés de la chambre ont échoué devant le