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d’encourir son déplaisir, s’il eût laissé la division espagnole, à l’exception de l’Argonauta, à la Havane, il eût probablement combattu avec avantage Calder devant le Ferrol ; mais ces doléances qui ne remédiaient à rien, ce découragement qui, loin d’avoir l’assurance d’une conviction éclairée, semblait toujours prêt à se démentir ou à se condamner, ces élans d’un instant et ces brusques retours, ce fonds inaltérable de bravoure et d’honneur à côté de cette puérile faiblesse, tout cela montrait l’homme déjà marqué du sceau de la fatalité.

Notre escadre mettait à profit la relâche de Vigo ; elle y trouvait de l’eau, des vivres frais, et se préparait avec activité à reprendre la mer. Nelson, plus actif encore, avait mouillé le 22 juillet dans la baie de Tétouan, et en était reparti le 23 pour aller se joindre à l’armée de Cornwallis. Les vents de nord-est, qui l’arrêtèrent sous le cap Saint-Vincent, ramenèrent en même temps Calder devant le Ferrol. Villeneuve se trouvait ainsi placé entre deux escadres anglaises. Il laissa à Vigo un vaisseau français, l’Atlas, qui avait à réparer de glorieuses avaries reçues dans le combat du 22 juillet, deux vaisseaux espagnols, l’America et l’España, de 64, les plus mauvais marcheurs de l’escadre, et saisit habilement l’instant favorable pour passer entre les croisières ennemies dont on lui annonçait de tous côtés la présence. Un fort vent de sud-ouest poussa Calder au large et conduisit notre armée de la baie de Vigo au mouillage de la Corogne. Une partie de l’escadre entra au Ferrol et y rallia 5 vaisseaux français et 10 vaisseaux espagnols. Cette jonction remplit de joie le brave amiral Gravina. « Quand, au premier vent d’est, écrivit-il à l’amiral Decrès, la flotte ennemie, forte de 14 vaisseaux, s’approchera du Ferrol, elle sera bien étonnée… La route du cap Finistère à ce port, bloquée par des forces ennemies considérables, était difficile et périlleuse ; mais mon respectable collègue a tenté cette entreprise et l’a exécutée avec beaucoup de tact, de sagesse et de hardiesse… Il a très bien réussi. » Cette loyale affection reposait l’ame de Villeneuve et le consolait des fâcheuses rumeurs qui arrivaient souvent jusqu’à ses oreilles. « Je n’ai qu’à me louer de l’amiral Gravina, écrivait-il à l’amiral Decrès ; lui seul apprécie ma position et se montre vraiment mon ami. » Le général Lauriston, placé près de lui pour le soutenir, semblait au contraire irriter ses chagrins. Tout dévoué au succès de cette campagne dont il possédait le secret, plein de feu et d’énergie, cet ardent aide-de-camp de l’empereur ne pouvait s’empêcher de déplorer l’abattement de Villeneuve. Villeneuve, à son tour, aigri par les mécomptes de cette campagne, accusait hautement Lauriston de méconnaître des difficultés qu’il était incapable d’apprécier.

C’est dans cet état d’esprit que l’amiral français arriva à la Corogne. Malgré quelques fautes, malgré cette anxiété mal dissimulée qui le dévorait, il avait jusque-là rempli les intentions de l’empereur. 29 vaisseaux