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sans emporter dans la tombe une victoire qu’on pût appeler de son nom, une palme qui n’appartînt qu’à lui seul. Plus calme, plus résigné que Nelson, doué d’un sentiment, moral infiniment plus élevé, il ne possédait point au même degré que le héros du Nil cette ardeur fiévreuse qui crée les occasions, violente les circonstances et saisirait au besoin l’honneur noyé par les cheveux. Collingwood et Nelson sont deux noms que l’histoire ne peut cependant séparer ; ce sont deux types qui se complètent. L’un est l’expression la plus élevée d’une marine supérieure, l’autre est le génie exceptionnel qui entraîne dans des voies inconnues cette marine subjuguée par son ascendant. Étranger à tout sentiment d’envie, uniquement préoccupé de la crise périlleuse qui semblait menacer sa patrie, Collingwood descendit sans regret au second rang. Il promit à Nelson un concours souvent éprouvé, et se réjouit du surcroît d’honneur que promettait à la flotte anglaise la supériorité numérique de l’ennemi. « Le triste avantage du nombre, dit-il, n’engendre que la langueur ; mais qui de nous ne sentirait s’éveiller son courage quand le salut de l’Angleterre semble aujourd’hui dépendre de nos efforts ! »

Ce n’était point une circonstance fortuite, le simple effet d’une surprise passagère qui avait produit cette apparente inégalité des deux flottes. 104 vaisseaux de ligne, constamment exposés à de rudes croisières, absorbaient les ressources des arsenaux anglais, et présentaient rarement une force effective supérieure à 72 vaisseaux ; encore, sur ces 72 vaisseaux, 60 à peine se trouvaient-ils réunis en ce moment dans les mers de l’Europe. Dans les mêmes parages, l’empereur était parvenu à en rassembler 65 : 24 à Brest, 5 au Texel, 34 à Cadix, 5 en croisière sous les ordres du capitaine Lallemand. L’amirauté, à bout d’expédiens, obligée de recruter des matelots jusque sur les côtes de Portugal[1], promettait à Nelson de lui envoyer des renforts dès qu’elle le pourrait ; en attendant, elle lui recommandait de la façon la plus pressante de garder sous son pavillon tous les vaisseaux qui pouvaient encore tenir la mer, et de ne renvoyer en Angleterre que les bâtimens complètement épuisés, qu’il y aurait danger à retenir plus long-temps éloignés du port. C’était sur un de ces bâtimens que l’amiral Calder, laissant à Nelson le vaisseau à trois-ponts qu’il montait, devait prendre passage ; mais Calder ne put supporter la pensée de quitter son vaisseau en présence de toute une flotte qu’il venait de conduire au feu. Généreux jusqu’à l’imprudence, Nelson respecta cette susceptibilité inopportune, et, malgré les ordres formels de l’amirauté, peu de jours avant la sortie de l’ennemi, sir Robert Calder fit route pour Portsmouth sur le Prince de Galles. Nelson le vit s’éloigner avec joie. Bien qu’à la veille d’une si grande bataille, il regretta peu le magnifique vaisseau

  1. Lettre de Nelson au consul d’Angleterre à Lisbonne.