Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 17.djvu/247

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

où pouvait l’engager l’inauguration d’une tactique nouvelle, revenait-il instinctivement aux règles déjà tracées de l’ancienne stratégie. L’escadre de Gravina, forte de 12 vaisseaux français et espagnols, conservait la désignation d’escadre de réserve, mais, en réalité, elle devait former l’avant-garde de la flotte combinée. « Je n’ai ni le moyen ni le temps, s’écriait Villeneuve dans son découragement, d’adopter une autre tactique avec les commandans auxquels sont confiés les vaisseaux des deux marines… Je crois bien que tous tiendront leur poste, mais pas un ne saurait prendre une détermination hardie ! »

Peut-être, en cette extrémité, Villeneuve adopta-t-il en effet le seul parti convenable. En doublant sa ligne de bataille par un second rang de vaisseaux endentés[1], il s’exposait à gêner le feu d’une partie de ces vaisseaux. En partageant ses forces, il courait un plus grand danger, car la division la plus faible pouvait, comme on l’avait vu déjà au combat du cap Saint-Vincent, après une première démonstration infructueuse, se résigner à une retraite prématurée. En rangeant, au contraire, sa flotte sur une seule ligne, il présentait, il est vrai, un front trop étendu, mais conservait du moins à chaque vaisseau le libre jeu de son artillerie et la faculté de se replier sans confusion sur la partie de la ligne qui serait menacée par l’ennemi. Ce fut dans cette pensée qu’il maintint l’ancien ordre de bataille, et adressa à son escadre ces simples et mémorables paroles qui impliquaient malheureusement la condamnation de sa propre conduite à Aboukir : « Tous les efforts de nos vaisseaux doivent tendre à se porter au secours des vaisseaux assaillis et à se rapprocher du vaisseau amiral, qui en donnera l’exemple C’est bien plus de son courage et de son amour de la gloire qu’un capitaine commandant doit prendre conseil, que des signaux de l’amiral, qui, engagé lui-même dans le combat et enveloppé dans la fumée, n’a peut-être plus la facilité d’en faire… Tout capitaine qui ne serait pas dans le feu ne serait pas à son poste…, et un signal pour l’y rappeler serait pour lui une tache déshonorante. »

Ainsi se préparait la sanglante journée de Trafalgar. Pitt, comme nous l’avons dit, avait renoué les fils de l’ancienne coalition ; l’empereur avait levé ses camps de l’Océan. Menacé du côté de l’Allemagne, l’empereur l’était plus sérieusement encore du côté de l’Italie. En face de Masséna, l’archiduc Charles y commandait la principale armée autrichienne. Les Anglais et les Russes devaient débarquer à Tarente, à Naples ou à Ancône, des troupes déjà rassemblées dans les îles de Malte et de Corfou. Réunies à l’armée napolitaine, ces troupes pouvaient surprendre

  1. Vaisseaux disposés sur deux lignes de telle façon que le second rang puisse tirer dans les intervalles ménagés entre les bâtimens de la première ligne.