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Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 17.djvu/313

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expédient de la diplomatie : il fallait forcer les rois coalisés à voir dans leur triomphe non la défaite de la France, qu’il leur eût été permis dès-lors de traiter en pays vaincu, mais le rétablissement pur et simple d’un principe commun à toutes les monarchies, qui les intéressait toutes, et que la révolution avait ébranlé ; pour M. Royer-Collard, ce fut une vue philosophique, une vérité de l’histoire, un dogme de la raison sociale. M. Royer-Collard a été légitimiste d’une façon originale et en esprit supérieur. C’est ce que l’éloquent commentaire de M. de Rémusat établit parfaitement.

Sous l’empire, M. Royer-Collard se tint à l’écart. Comme l’a dit, avec une insistance bien fondée, son successeur à l’Académie, M. Royer-Collard détestait la force ; c’était là comme le fond de son ame : qu’elle s’appelle pouvoir du peuple, tyrannie d’un seul, despotisme des assemblées ou domination du sabre, il ne cesse de la flétrir au nom du droit, de la maudire avec une sourde colère ; il n’est donc guère étonnant qu’il n’ait eu que peu de goût pour le régime impérial. Il nous est bien facile à nous, placés à distance, d’absoudre, de glorifier l’empire en masse ; il nous est bien facile de n’y voir, avec beaucoup de gloire au dehors, que ce grand fait, qui à nos yeux domine et efface tout, le triomphe et l’organisation de la révolution française. C’est là une idée très haute, très juste, qui fait honneur à notre jugement et ne coûte rien à notre cœur ; mais de près, mais quand l’injustice frappe à nos côtés, quand la force brutale affiche insolemment le mépris de la pensée, qu’elle emprisonne ou qu’elle exile lorsqu’elle n’a pu réussir à l’étouffer à sa naissance ; en face de tous ces détails, dont les uns sont ridicules, les autres odieux, et beaucoup l’un et l’autre à la fois, il est bien difficile de se montrer ainsi philosophe, et je ne sais s’il serait bon qu’on le fût trop aisément. Ce qui est bien certain, c’est que, à entendre par là une sorte d’indifférence apathique, M. Royer-Collard ne fut pas philosophe, et que son cœur, qui avait encore plus besoin de justice que son esprit de vérité pure, ne se résigna pas. Convaincu de l’inutilité des efforts essayés avant le temps, il renonça aussi à toute relation active avec le parti royaliste, et se contenta de protester contre la force en refusant de lui prêter son concours. A défaut du droit que la pratique ne lui montrait pas, il demanda le vrai à la méditation. C’est alors qu’il se tourna vers cette science, première étude de tous les esprits supérieurs de la fin du dernier siècle, qui déjà avait donné Sieyès à la politique, vers cette science que la haine et les défiances du pouvoir affectaient de nommer dédaigneusement l’idéologie.

Mais alors le monde de la pensée pure, la métaphysique, avait aussi son souverain absolu. Condillac y régnait à peu près sans contrôle, et, non plus que son omnipotence, son infaillibilité ne faisait question. Que sont les écrits d’Helvétius, de Saint-Lambert, de Volney, de Cabanis,