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instruisit M. le comte de Jarnac que lord Normanby venait de lui communiquer une note sans date adressée au gouvernement espagnol par le cabinet de Londres. C’était une protestation contre l’avènement possible des descendans de M. le duc de Montpensier au trône d’Espagne. M. le ministre des affaires étrangères, après avoir rappelé qu’il n’appartenait qu’au gouvernement espagnol de répondre à cette note, puisque c’est à lui qu’elle avait été remise, exprime néanmoins son opinion à M. de Jarnac sur la pièce communiquée. Il maintient que la protestation est sans fondement ; il démontre que les descendans de Philippe V ne sauraient être exclus de la succession à la couronne d’Espagne, parce qu’eux ou leurs ancêtres se trouveraient mariés à des descendans du duc d’Orléans, et il invite M. le comte de Jarnac à communiquer sa lettre à lord Palmerston. Ce document est remarquable. Le gouvernement français y proteste contre la protestation de l’Angleterre, et défend les droits que pourrait avoir à exercer un jour la descendance de M. le duc de Montpensier.

La réponse de lord Palmerston à la note du 5 octobre de M. Guizot est longue, amère et sophistique. Le ministre whig s’y plaint que le gouvernement français n’ait pas tenu l’engagement pris au château d’Eu, oubliant, comme le lui rappelle M. Guizot dans sa réplique, que l’engagement était mutuel et conditionnel. Le memorandum du 27 février 1846, dans lequel M. Guizot avertissait le cabinet de Londres que, dans le cas où les deux gouvernemens ne marcheraient plus d’accord, la France se considérerait comme dégagée de tous les engagemens qui auraient pu être pris, embarrasse un peu lord Palmerston. Ce memorandum, qui se trouve parmi les documens communiqués aux chambres et dont nous avons déjà signalé l’importance, est au procès une pièce décisive et un irréfutable garant de la bonne foi du gouvernement français. Si les diplomates de l’ancien régime assistaient à nos débats, ils riraient beaucoup de la sincérité, de la candeur avec laquelle on avertit ses adversaires de ce qu’on se prépare à entreprendre contre eux. Cependant quelquefois, et notamment ici, tant de franchise peut avoir son utilité. C’est le memorandum du 27 février 1846 qui prouve la bonne foi de la France, et c’est chose heureuse qu’il ait été rédigé. Cette pièce gêne lord Palmerston ; elle n’est, selon lui, qu’une communication verbale et non officielle, et il affirme qu’il n’en existe aucune trace au Foreign-Office. Cependant ce memorandum du 2 7 février a été communiqué le 4 mars à lord Aberdeen par M. le comte de Sainte-Aulaire, et il faut bien l’admettre parmi les élémens de la discussion. En s’y résignant de mauvaise grace, lord Palmerston soutient que ce memorandum ne fournit pas le plus léger motif sur lequel on puisse établir une justification de la rupture des engagemens d’Eu. En effet, selon lui, puisque le mariage de la reine Isabelle avec l’infant don François était arrêté, le gouvernement français n’avait plus de raison pour conclure en même temps l’union du duc de Montpensier avec l’infante dona Luisa. À ce singulier argument, il y a deux réponses c’est que, d’un côté, le gouvernement anglais nous avait déliés de nos engagemens relativement à l’époque du mariage de M. le duc de Montpensier, en mettant en première ligne, parmi les candidats, le prince Léopold de Cobourg, et que, d’une autre part, la cour d’Espagne, fatiguée de tant de difficultés et de délais, voulait absolument conclure les deux mariages du même coup. Sans insister ici sur le rôle principal qu’a joué la reine Christine dans toute cette négociation, nous dirons que, placé dans l’alternative d’être ridiculement joué, ou