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lettres blanches : Aqui hay partida. Ces demeures mobiles s’élevaient pressées comme les tentes d’un camp. Tous les fruits des tropiques amoncelés en pyramides étaient réunis dans certains endroits pour tenter la sensualité des promeneurs. À côté de ces pyramides multicolores, des raves gigantesques artistement taillées en bouquets, en soleils, en panaches, s’épanouissaient au-dessus de poêles où des ragoûts sans nom cuisaient dans une graisse sifflante.

Dans les espaces ménagés pour la circulation circulaient, fièrement drapés de leurs haillons, les léperos, ces lazzaroni mexicains, dont la vie se passe à voler, à jouer, à manier alternativement la mandoline et le couteau. Les uns, assis en rond autour d’une couverture étendue par terre, essayaient les chances du monte sous l’œil d’un banquier balafré, prêts à en appeler au couteau de l’opiniâtreté d’une veine contraire ; les autres se pressaient à l’entrée des baraques privilégiées, où le tintement de l’or se mêlait au bruit d’un orchestre discordant. Les manteaux galonnés des rancheros se croisaient avec les couvertures déchirées, les souquenilles bariolées des muletiers, et des groupes d’Indiens à demi nus erraient silencieusement au milieu de cette foule tumultueuse. Plus loin, dans les rues plus obscures où les clartés des brasiers venaient mourir, luisaient dans l’ombre l’or, les paillettes et la soie des courtisanes, tandis qu’à quelques pas d’elles étincelaient les lames nues des protecteurs payés de ces faciles amours. Enfin, dans les rues restées désertes et noyées dans l’ombre projetée par les tours de la cathédrale, les lanternes des veilleurs de nuit, les torches du guet à cheval, brillaient et s’éclipsaient tour à tour. Mille bruits étranges et confus, détonations d’armes à feu, cris, chansons, cliquetis de castagnettes, hurlemens de joie ou d’angoisse, s’élevaient, comme un effrayant concert, de cette ville livrée complètement pour quelques jours au vol, au meurtre et à la débauche.

Une douzaine de chevaux sellés et bridés étaient attachés à des piquets devant la baraque où m’attendait le salteador. Un homme, assis sur une pierre près de la porte, laissa de côté la guitare qu’il tenait à la main, et interrompit une romance mélancolique qu’il chantait à haute voix pour me demander si j’avais affaire au propriétaire de la baraque. Sur ma réponse affirmative, il souleva une portière en cuir, et m’invita à entrer. Pour me rassurer en ce moment sur ma démarche, il fallait, je l’avoue, toute ma pratique des mœurs mexicaines et l’insouciance acquise dans une vie aventureuse. Le salteador prenait son chocolat ; il était seul.

— J’attendais votre visite ; peut-être même auriez-vous dû me la faire plus tôt dans l’intérêt de votre ami, me dit-il ; soyez le bienvenu, vous êtes chez vous.