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Après avoir ainsi parcouru tout le champ de la prose latine et y avoir recherché le vrai commun à tous les genres, et le vrai propre à chacun, peut-être y aura-t-il lieu de hasarder quelques généralités sur cette moitié de la littérature romaine. Les généralités n’étant que l’expression des lois d’après lesquelles s’accomplissent les choses humaines, avant de poser les lois, il faut connaître tous les faits qui se développent sous leur empire ; mais la tentation de généraliser est dangereuse ; on croit trop aisément qu’on voit loin, parce qu’on ne voit pas à ses pieds, vite parce qu’on voit peu ; aussi est-ce moins un engagement que je prends qu’un désir innocent que j’exprime. Il serait si beau, pour cette sorte de vrai qui regarde les faits et les grands hommes de l’histoire romaine, de trouver quelque chose à dire après Bossuet, après Montesquieu, après le premier de ces grands penseurs sur les choses romaines, Machiavel ! Mais n’est-ce pas déjà trop d’ambition que de s’aventurer dans les spéculations qui leur étaient familières et de vouloir penser où ils ont pensé ?

Il serait moins téméraire, et peut-être m’y risquerai-je, de tirer de l’étude du génie romain dans les lettres, de l’art dans les grands écrivains, en un mot du vrai dans l’éloquence latine, soit quelque principe nouveau, soit la confirmation de quelque principe connu, qui serve, non à former de grands écrivains, mais à entretenir dans le pays le goût général qui les forme. L’objet de toutes les institutions d’enseignement, le devoir de toutes les chaires, est de rappeler au public qu’étant la matière même de la gloire, il doit y mettre ses conditions, et se compter pour quelque chose dans les livres, qu’il ne fait pas. Aucun public n’y est plus disposé que le public français. La France est le pays où le public est le plus près de l’écrivain, et où l’on peut dire avec le plus de vérité qu’entre le lecteur et l’auteur, c’est un prêté rendu. Je sais que ce public a des momens de sommeil, pendant lesquels il n’est pas très délicat sur ses rêves ; mais qu’on ne s’y fie pas : quand il s’éveille, il ne se souvient plus de ce qu’il a rêvé. Notre public ne méprise pas les auteurs qui lui ont été trop complaisans ; ce serait trop dur, et il sait qu’il y a un peu de sa faute : il les oublie. Aussi n’y a-t-il pas de pays où il y ait plus de gloires qui ne durent pas vie d’homme.

Tel est le plan que je me suis tracé. Dans ce plan, les historiens devant ouvrir ces leçons, nous avons dû commencer par César, venir ensuite à Salluste, lequel nous amène à son successeur immédiat Tite-Live, remontant pour ainsi dire le cours de l’histoire de Rome, en même temps que nous descendons la suite de ses historiens.

Tite-Live avait à peine seize ans quand César mourut. Il en avait vingt-quatre quand il quitta Padoue, sa patrie, pour venir à Rome, où il put voir Salluste, vieux et chagrin. Auguste, qui le compta parmi ses amis, ne s’offensa pas, dit Tacite, de l’éloge qu’il faisait de Pompée, et il l’appelait le Pompéien. Pline le jeune raconte que sur le bruit de ses ouvrages un habitant de Gadès vint du fond de l’Espagne à Rome pour le voir, et, après l’avoir vu, s’en retourna. C’est de cet unique habitant de Gadès que saint Jérôme a fait plusieurs nobles gaulois et espagnols, « entraînés, dit-il, à Rome par le désir de le contempler, et qui, entrés dans une si grande ville, y cherchaient autre chose que la ville elle-même. » Des biographes lui font écrire son histoire partie à Rome, partie à Naples, où il allait, disent-ils, de temps en temps se délasser. Ils partagent les soins de sa vie