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Sous l’ancien régime, l’empirisme régnait en maître dans l’administration en France comme au dehors, et les intérêts commerciaux y étaient humblement soumis plus encore que tout le reste. Tout procédait des traditions d’un temps de conquête ; tout se compliquait d’exigences multipliées, confuses dans leurs limites. Les finances étaient un chaos, la législation un dédale. En administration, il n’y avait que des expédiens. Les grands ministres comme Sully et Colbert, qui avaient essayé d’introduire des règles générales, des principes simples, de l’unité dans la gestion des intérêts nationaux, y avaient à peu près échoué. Ils avaient fondé une prospérité qui devait disparaître ; et qui s’évanouit en effet avec leur personne. La législation dés céréales portait cependant l’empreinte d’une noble pensée. On avait voulu maintenir le blé à bas prix dans le royaume. On n’admettait pas comme une idée digne d’examen que le pain à bon marché pût être un mal. En conséquence, on en autorisait l’importation sans réserve : l’exportation fut pareillement libre pendant très long-temps. Cependant, en 1693[1], une disette se déclara, et la sortie des grains fut défendue sous peine de mort. La liberté pourtant reprit le dessus et continua de prévaloir, non sans quelque retour de contrainte, jusqu’à la révolution, où l’alarme sur les subsistances fut générale, et détermina, dès 1790, l’interdiction d’exporter les grains. La noblesse, propriétaire du sol, avait l’œil à ce que ses domaines produisissent une grande quantité de blés ; il arriva même que, pour s’être attachée trop exclusivement aux céréales, l’agriculture française suivit de fâcheux erremens. Le meilleur moyen de retirer d’un pays le maximum possible de grains est non pas de consacrer toutes les terres à cette production, mais de tenir la balance entre les céréales et les fourrages, entre la production des grains et celle du bétail, qui fournit l’engrais sans lequel la terre reste stérile. L’ancienne agriculture française avait entièrement perdu de vue cette notion fondamentale que nos cultivateurs d’aujourd’hui ne se sont qu’imparfaitement assimilée encore. Les Anglais, au contraire, par une juste répartition entre les grains et les fourrages, ont, depuis long-temps, une agriculture plus parfaite et une alimentation publique supérieure. Ils sèment en blé un moindre nombre d’hectares ; mais, fécondée par le fumier que donne le bétail, la superficie ensemencée à un rendement double des terres françaises, et ainsi, à égalité de territoire, l’Angleterre rend plus de blé que la France, en même temps qu’elle produit plus de viande et d’autres alimens.

Mais, si le régime des céréales était libéral à l’extérieur sous l’ancien régime, c’était au dedans un commerce sujet à mille entravés. Les populations étaient remplies de préjugés contre les marchands de blé.

  1. M. Anthelmo Costaz, dans son Histoire de l’Administration, tome II, p. 127, fait remonter plus haut la première interdiction de l’exportation des blés. Il la rapporte à l’an 1598, et lui attribue une longue durée.