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la restauration, il était revenu dans sa province avec une foule de ces idées vagues, attrayantes, qui, colorées par le rayon de la jeunesse, forment tout un monde imaginaire, beaucoup plus séduisant que le nôtre. Aussi n’avait-il accepté de l’existence que le côté romanesque : des rêveries au lieu d’activité, des sentimens, des instincts au lieu de principes, voilà ce qu’il apportait dans cette vie où les luttes les plus ignorées ne sont pas toujours les moins honorables, où les vertus les plus obscures sont quelquefois les plus belles.

Obéissant à un de ces caprices d’imagination familiers aux natures mobiles et qui les poussent, en un instant, d’un extrême à l’autre. Octave, à vingt-quatre ans, avait cru trouver dans le mariage l’accomplissement ou l’oubli de ses rêves juvéniles : il avait épousé Mlle Marceline de Gureuil, fille d’un riche propriétaire fixé dans la vallée d’Ogerelles, près de Grenoble. Mlle de Gureuil avait dix-sept ans à peine, et tout ce qu’on savait d elle, c’est qu’elle était belle, grave et pieuse. Son père la maria sans appréhension : les goûts poétiques d’Octave d’Esparon l’avaient préservé de ce que les provinciaux appellent des sottises, et le vieux gentilhomme, élevé dans les idées de son temps, ne pouvait pas même soupçonner le genre de péril qu’apportent avec eux les caractères tels que celui-la. Quant à Marceline, son éducation austère, sa rigide piété, ne lui permettaient de préférer personne, et elle avait tendu la main à l’homme choisi par M. de Gureuil sans se douter qu’il lui fût possible de songer a un autre.

Bien près d’elle pourtant, dans une habitation du voisinage, il y avait un jeune homme qui, sans l’avouer à personne, n’avait pu se défendre d’un sentiment profond pour Mlle de Gureuil. George de Charvey, troisième fils d’une famille nombreuse, se savait destiné au métier des armes par nécessité et par goût, et l’inégalité des positions lui eût fait regarder comme une folie de prétendre à la main de Marceline. Il avait donc soigneusement renfermé dans son âme un penchant que condamnait sa raison sévère, et, grâce à son extrême réserve, nul ne l’avait deviné. George était de ceux qui pensent qu’on profane certaines affections en les laissant entrevoir. Dès que son âge et ses études le lui avaient permis, il était entré au service, et il était déjà en garnison lorsqu’il avait appris le mariage de Mlle de Gureuil avec Octave d’Esparon. Ce mariage ne fut pas heureux : au bout de quelques mois, Octave avait commencé à ressentir les premiers symptômes de ce malaise qui s’empare des imaginations ardentes, lorsqu’elles sont forcées de substituer les lignes inflexibles d’une vie tracée d’avance aux horizons lumineux et changeans qu’elles disposaient à leur gré. Ce ne fut d’abord que de l’inquiétude, un besoin de rêverie, un désir de produire au dehors les pensées qui l’agitaient. Octave n’avait point perdu de vue le mouvement poétique qui fut si remarquable à cette époque ; il s’y était