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de Charvey employait en observateur le temps qu’il ne passait pas auprès de sa fille.

L’intérêt affectueux qu’il avait voué à Mme d’Esparon ne s’était point affaibli ; à Paris, il entendit beaucoup parler d’Octave, de sa célébrité, de son talent, et bientôt il apprit l’arrivée d’Albert auprès de son père. Tout cela lui inspira le désir de connaître enfin ce monde, cette vie d’artiste, à laquelle M. d’Esparon était mêlé. Les abords lui en furent faciles : riche, précédé d’une belle réputation militaire, bien né et n’ayant jamais rien écrit, double recommandation auprès des hommes de lettres, M. de Charvey fut accueilli avec empressement ; il put étudier, d’après nature, ces mœurs si antipathiques à son caractère et si nouvelles pour lui.

Ce fut une étude étrange et douloureuse pour cet homme franc et sévère, que la disciphne avait accoutumé à plier toutes ses actions aux lois précises du devoir. Il marchait de surprise en surprise à travers cette brillante Bohème où chacun, se croyant, par la grâce de Dieu et de ses œuvres, affranchi des règles ordinaires, substitue au code universel celui que lui dictent ses passions, ses dédains ou ses fantaisies ; monde bizarre, toujours plus prêt à idéaliser le bien qu’à le pratiquer ; hommnes singuliers qu’on appelle des artistes, faute de trouver pour eux un nom assez sévère ou assez beau ! Pourtant, chez tous ces hommes, il y avait eu un germe de grandeur et de bonté, de force et de dévouement ; mais le moi avait tout étouffée. Habitués à n’avoir foi qu’en eux-mêmes, s’imaginant que la société n’est faite que pour seconder les desseins de leur génie, oubliant que toute supériorité doit au contraire, sous peine de déchoir, concourir à la destinée commune, ils avaient brisé le faisceau des premières croyances pour s’isoler dans leur orgueil stérile. Les uns, après avoir chanté eu vers divins les joies de la famille, les saintes douceurs du foyer domestique, la religion des souvenirs, et cette couronne de poésie et d’innocence qui s’effeuille du front penché des mères sur le frais visage des enfans, n’avaient pu résister aux malsaines atteintes de ce midi de la vie aussi dangereux que celui du jour. Le tumulte des sens, les suggestions de la vanité, les conseils de l’ambition avaient fait taire dans leur âme les chastes voix de la Muse. D’autres, après s’être posés en prédicateurs d’un art nouveau, avaient démenti dans la pratique leurs théories spécieuses et imité ces sectaires qui compromettaient par leurs actions l’autorité de leur parole. D’autres encore, patriciens de l’intelligence, déshonoraient dans l’orgie leurs titres de noblesse. Il y en avait qui, au lieu de chasser les vendeurs du temple, y proclamaient de leur propre voix et y installaient de leurs propres mains la vente et le marché, l’agiotage et les enchères. Ceux-ci, par une commode méprise, confondant les inspirations de leur talent avec les désordres de leur vie, essayaient de faire de leurs ouvrages