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douce !… votre présence me faisait tant de bien ! — En cet instant la voix lui manqua, et il se détourna brusquement.

Albert n’y put tenir ; il se rapprocha de son père et lui dit doucement : — Oh ! ne vous plaignez pas ! Laissez-moi, je vous en prie, le peu de courage qui me reste. À quel point je vous aimais, vous l’avez deviné, n’est-ce pas ? Aujourd’hui encore je donnerais ma vie pour vous épargner ce chagrin ; mais il le faut, ma mère n’a que moi au monde, mon absence la tue ; d’ailleurs, voici sa fête qui approche…

— C’est vrai, murmura Octave ; elle s’appelait Marceline.

— Et ce jour-là (hélas ! c’est la seule fois dans l’année où je la voie sourire !) j’attends son réveil pour lui offrir un beau bouquet de roses des Alpes.

— Les roses des Alpes !… reprit M. d’Esparon. Pâles et aimables fleurs que j’ai cueillies bien souvent sur la pointe de nos rochers !… J’étais jeune alors, jeune et pur comme vous, Albert ! Ah ! quel est donc ce charme que j’avais oublié depuis si long-temps ? — Et Octave se tut, comme accablé sous le poids de ses pensées.

Albert essaya quelques paroles consolatrices, mais son père ne l’entendait plus ; cette imagination mobile se reportait, à vingt ans de là, vers cet humble coin de terre qu’elle avait si long-temps dédaigné.

— Oui, disait-il, il me semble que c’est hier ; les plus fraîches de ces fleurs sauvages croissaient dans ce grand ravin qui sépare notre plateau de la première chaîne des Alpes, et qu’on nomme la Combe-aux-Loups. Oh ! je n’ai rien oublié. Un pont rustique traversait le ravin, il conduisait à un petit sentier tracé, à travers la montagne, par le pied des chasseurs, et qui se perdait, au bout d’une demi-lieue, dans un bois de mélèzes… C’est de la lisière de ce bois que la vue embrassait tout le paysage ; en se retournant pour mesurer le chemin parcouru, on apercevait, bien loin, les pauvres tourelles de Blignieux, et, un peu plus près, aux bords du ravin, cette petite chapelle dont le porche m’a si souvent servi d’abri…

— Sainte-Marthe-des-Neiges, interrompit Albert… ce lieu m’est doublement sacré, doublement cher : c’est là, lorsque j’allais à la chasse, que ma mère venait épier mon retour ; c’est de là quelle me voyait paraître quand je sortais du bois d’Estève, et ses inquiétudes se calmaient en me voyant.

iï — Elle vous aime donc, vous ? dit Octave d’une voix émue. Au fait, poursuit-il tout bas et comme se parlant à lui-même, le cœur de l’épouse peut rester fermé, celui de la mère, jamais !

— Oui, mon père, elle m’aime, je le sais maintenant, et cependant j’en avais douté jusqu’ici.

— Que dites-vous ?

— Comme elle n’est pas expansive, comme ses regards sévères, ses TOME XVII. 31