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malaisé, achètent deux domaines d’égale étendue et d’égale qualité au prix de 80,000 francs ; le pauvre ajoute au prix d’achat un capital d’exploitation de 20,000 francs ; total de ses avances, 100,000 francs. Le riche, élève son capital d’exploitation à 120,000 francs ; total, 200,000 francs. On les suppose d’ailleurs tous deux également économes, également habiles. Eh bien ! si le premier obtient en produit net 5,000 francs, soit 5 pour 100 de son capital engagé, le riche obtiendra 20,000 francs, soit 10 pour 100 de son capital : de sorte que, si la possession de ces deux domaines était grevée accidentellement d’une charge annuelle de 6,000 francs, le cultivateur pauvre se trouverait incapable de continuer son exploitation, tandis que son voisin resterait en possession d’un revenu de 14,000 francs, par le seul fait de l’exubérance de son capital.

On pressent la portée de ce phénomène dans son application à l’Algérie. Il n’y a pas de mesure absolue pour la fécondité de la terre ; on peut en élever graduellement le produit à l’aide d’un capital bien employé : la seule limite de cette progression est le point où les débouchés avantageux viennent à manquer. Au sein même de la France ; il y a des terres qui ne valent pas 100 francs l’hectare, quoique supérieures dans leur essence à d’autres terres qui se vendent 2,000 et 3,000 francs : la plus-value de ces dernières, toujours proportionnée aux produits, n’est que la représentation des sommes employées pour améliorer le fonds ou assurer des débouchés. Trop confians dans la vertu naturelle du sol africain, les premiers colons n’ont pas attendu, pour solliciter la terre, qu’ils eussent des moyens suffisans. On a même érigé, en quelque sorte, cette faute en système. Une circulaire administrative répandue parmi les colons leur recommandait de ne pas faire de bonne agriculture, sous prétexte que les circonstances économiques ne se prêtaient pas à une exploitation perfectionnée. Autant aurait valu recommander à nos soldats de désapprendre l’art militaire pour combattre les Arabes. Si la victoire reste toujours en définitive à nos drapeaux, c’est qu’à des bandes sans frein et sans ressources certaines nous opposons la bravoure disciplinée, la tactique, un matériel spécial, des approvisionnemens garantis par le trésor d’un grand empire. Le moyen de vaincre dans l’ordre industriel, c’est de procéder comme dans l’ordre militaire. Si l’on veut asservir une nature sauvage et en arracher de riches tributs, qu’on l’attaque avec une forte discipline agricole, avec la tactique la plus subtile de la science.

Il importe avant tout de se pénétrer de la différence essentielle, caractéristique, qui doit se manifester entre l’industrie de la France africaine et celle de la métropole. Dans les anciennes sociétés, la spéculation industrielle repose sur l’existence du prolétariat, triste continuation de l’antique servitude. En Europe, où il y a, sauf de très rares exceptions,