Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 17.djvu/533

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mieux pour le propriétaire qu’un sol en friche ; quelque faible que soit le salaire, il vaut mieux pour le paysan que la mort par la faim ; mais, dans nos provinces algériennes, il n’y a ni habitans, ni capitaux, et la difficulté est d’y attirer les uns et les autres. L’argent est beaucoup plus prudent que les hommes, et ne s’aventure pas au-delà des mers sans de bonnes garanties. En conséquence, le général demandait qu’on offrît une prime aux capitaux employés en travaux d’installation, prétendant qu’il suffisait de déblayer le sol pour que des laboureurs s’y précipitassent. Il proposait d’allouer une gratification égale au quart des dépenses faites en construction de bâtimens, forages de puits, norias ou machines d’irrigation, défrichemens, plantations. « Tel est, disait-il, le moyen de faire dépenser par les bailleurs de fonds une somme quadruple de celle que l’état aura employée pour les subventionner. »

Il ne faut prendre ce premier mot du général de Lamoricière que comme une conception vague, livrée un peu légèrement et pour consulter l’opinion publique. La réponse du gouverneur-général ne se fit pas attendre. « Votre système est ingénieux, dit-il, il séduira les hommes d’état qui n’ont pas profondément étudié la matière. » Ce compliment un peu ironique sert de préface aux objections. Elles sont nombreuses, et le maréchal ne les a pas signalées toutes. Il en est une qui nous paraît essentielle. En offrant une prime à tout capital employé, sait-on à quoi l’on s’engage ? Ne ferait-on pas un sacrifice en pure perte, dans tous les cas où le capital aurait été mal employé ? Supposons, par exemple, un domaine exigeant pour une bonne exploitation une mise de 300,000 francs. Un propriétaire maladroit ou nécessiteux n’y consacre que 100,000 francs. Il reçoit en déduction un quart de cette somme ; mais l’entreprise mal combinée ne réussit pas. La terre retombe peu à peu dans l’inculture, la population dépérit, et les 25,000 fr, déboursés par l’état sont littéralement perdus.

Dans une entreprise si nouvelle, si épineuse, que les hommes les plus éclairés sont seuls capables d’en entrevoir les difficultés, le premier mérite est d’écouter la controverse, de remanier continuellement la théorie qu’on s’est faite, afin de la rapprocher de la pratique. M. de Lamoricière nous paraît être dans cette disposition. Il a senti que les débats ne peuvent pas s’engager sérieusement sur un système tant qu’il reste à l’état de vague aperçu, comme son premier projet. Il a donc donné une base positive à ses études, en appliquant son principe à la colonisation d’un territoire situé dans la province qu’il commande. Il ne s’agit plus maintenant d’une théorie abstraite et flottant dans les nuages. L’auteur présente un plan et un devis pour le peuplement successif et la mise en culture d’environ 100,000 hectares. Le système traduit en faits et en chiffres acquiert ainsi l’importance et la précision d’une affaire industrielle. Cette manière de discuter les intérêts et l’avenir