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sant héros de la maison de Souabe ; elle frappait les rimeurs ou les tribuns dont la lourde emphase évoquait ridiculement ces gothiques souvenirs. Je regrette que M. Geibel ne se soit pas rappelé cette vive et spirituelle leçon ; il aurait pu s’épargner des vers médiocres et de fâcheuses palinodies. En vérité, on ne comprend pas que le jeune poète se soit laissé entraîner à de pareilles fautes ! Comment expliquer ces doubles déclamations, cette double emphase en sens contraire, chez un écrivain qui fait profession de scepticisme et qui doit au far niente de la fantaisie ses œuvres les plus aimables ? Voilà un gracieux livre gâté comme à plaisir et de propos délibéré. M. Geibel est digne toutefois de prendre une belle revanche, et j’espère qu’il ne tardera pas ; il abandonnera à de plus forts que lui les dangereuses arènes, il relira Théocrite et Calderon, et, dans le cadre qu’il s’est choisi, viendront se ranger sans prétention les ébauches légères, les dessins vivement enlevés, les fines et brillantes aquarelles.

Un écrivain connu par d’heureux essais de critique et des romans agréables, M. Levin Schücking, fait aujourd’hui son début en poésie. Je crains que M. Schücking n’ait tort : la Muse demande un amour exclusif et jaloux. L’auteur d’Un Château au bord de la mer et des Chevaliers a écrit ces deux romans pour prouver sans doute les ressources diverses de son esprit ; il devrait songer maintenant à une œuvre plus sérieuse et déterminer nettement sa vocation. La facilité intelligente qu’on ne saurait lui contester doit être un don précieux, s’il s’applique à pénétrer le sens des œuvres littéraires, à les apprécier, à les juger. Qu’il fortifie sa pensée, qu’il se familiarise avec les œuvres des maîtres, qu’il assure ses principes, et il pourra donner à l’Allemagne ce dont elle a tant besoin, un vrai critique. C’est de ce côté que je le crois appelé. La poésie serait-elle la vocation véritable de M. Schücking ? M. Schücking pourra sans doute écrire agréablement de jolis vers ; son livre contient des parties estimables ; il y a de l’éclat, de l’élégance, d’aimables qualités. L’habile critique sait bien cependant que cela ne suffit pas. Si M. Schücking a voulu seulement exercer son aptitude à des choses diverses, il a réussi dans un certain degré ; mais peut-être valait-il mieux ne pas initier le public à ces secrets d’intérieur qui ne l’intéressent guère. J’ai remarqué dans le livre de M. Schücking de fraîches descriptions de la Westphalie, quelques tableaux de genre dont la grace mérite des éloges, des ballades habilement conduites. La meilleure page de ce livre est certainement celle que le poète adresse à son enfant qui vient de naître. En présence de cette ame vierge qui entre dans le monde, la main étendue sur ce jeune front, il abandonne sa pensée aux chimères permises de l’espérance. Ce qu’il n’a pu faire, ce qu’il n’a essayé qu’à demi, pourquoi cet enfant ne saurait-il l’accomplir un jour ? Et le voilà qui salue de loin, dans l’avenir, son œuvre enfin réalisée ; ses plans, ses projets, ses travaux interrompus, ses poèmes qui n’ont pu venir à bien, ses romans qui dormiront toujours au fond de son cœur, toutes ces rêveries auxquelles il n’a pas su donner une forme durable, il les voit, il les admire dans leur splendide parure. Comme elles sont belles, cette fois, les pauvres filles de son imagination indécise ! comme elles marchent avec grace dans leurs vêtemens immortels !

« L’héritage que je te laisse, ce sont des plans inachevés, des plaintes interrompues, des fragmens de mélodies ; ce sont des œuvres mortes dans leur pre-