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gramme annoncé, et par M. Schefer, et par M. de Sallet ; je l’acceptais avec toute sorte de réserves, on le pense bien, et en attendant le chef-d’œuvre qui devait en sortir. Le chef-d’œuvre n’est pas venu, et ne viendra pas. Au lieu de ces inspirations que je cherchais, au lieu de ces scènes vivantes qui auraient mis en relief la pensée du philosophe, je n’ai trouvé que de longues dissertations, de longs traités en vers iambiques. Il semble même que M. Schefer ait exagéré dans ce livre tous ses défauts accoutumés, comme il a accusé plus nettement aussi le caractère religieux de sa philosophie. Jamais le prêtre hégélien n’a été plus convaincu des vérités qu’il annonce ; jamais il n’a montré une plus ardente ferveur. Le panthéisme de Hegel, avec tous ses dogmes, est prêché ici par le plus affectueux des lévites, et on en voit sortir, grace à l’onction du prédicateur, des conséquences inattendues, des préceptes de charité, d’amour, de dévouement, qui semblaient bien étrangers à cet effrayant système. Le dieu de Hegel, si grand, mais si impitoyable, devient tout à coup sympathique et miséricordieux ; il a des tendresses presque chrétiennes. Voilà la part vraiment originale de cette étrange production. Cependant, plus le poète s’exalte et abandonne la terre, plus aussi il est entraîné dans les abstractions stériles et le fatras des formules. Nous espérions que cet enthousiasme si sincère allait produire un poète ; nullement, il en sort un docteur chargé de son lourd bagage. On ne trouvera pas plus de thèses et d’antithèses, de géométrie et d’algèbre métaphysique dans la Phénoménologie de Hegel, qu’il n’y en a dans le Prêtre séculier. M. Schefer a beau écrire en vers sur les grands sujets qui remplissent son ame, c’en est fait, il n’y a plus ici ni poète, ni poésie ; tout cet appareil pédantesque a étouffé l’imagination. Vous qui aimiez l’auteur du Bréviaire pour ses pieuses ferveurs et qui espériez en lui, renoncez désormais à ce Novalis plus ardent que vous vous promettiez : il faut vous résigner pour toujours à une scolastique barbare.

Véritable scolastique, en effet ! Les livres de M. Schefer nous reportent sans cesse au moyen-âge. On croit étudier un de ces artistes catholiques profondément pénétrés d’un idéal merveilleux, impuissans à le réaliser. Les vieux peintres byzantins n’ont pas été plus gauches, plus ignorans de leur art, quand ils ont voulu imprimer à leurs œuvres le sentiment sublime qui les possédait. Ce mélange d’élévation et de gaucherie nous touche dans les productions du XIIe siècle ; il nous blesse et nous attriste chez un poète de nos jours, chez le disciple passionné d’une grande école philosophique. Le cloître, car je ne saurais trouver une image plus juste, le cloître obscur où s’enferme l’imagination de M. Schefer n’a pas, on le pense bien, l’austère prestige de ces galeries sombres, de ces chapelles consacrées où peignait le dominicain de Fiesole. Bien que M. Schefer ressemble souvent à un frère prêcheur en extase, cette extase métaphysique, loin de donner naissance aux visions grandioses, va se perdre dans la laborieuse subtilité des formules. Ce peut être d’abord une étude curieuse d’interroger ce personnage bizarre, ce solitaire des thébaïdes philosophiques, ce pieux moine hégélien ; cependant la sympathie que commande la conviction du poète fait bientôt place à un ennui insupportable, et, fuyant ces vides domaines de l’abstraction, l’esprit redemande avidement la lumière et la vie.

Je ne sais si la poésie de M. Charles Beck doit nous donner cette vivifiante lumière ; mais, à coup sûr, elle nous ramènera au milieu du monde, en face de